Erreur d'échelle
Par DavidLeMarrec, vendredi 15 mai 2009 à :: Vaste monde et gentils :: #1241 :: rss
A propos du blocage des Universités, on entendait encore hier cette question journalistique aussi étrange que récurrente :
Mais est-il légitime qu'une assemblée de 150 personnes prenne une décision capitale pour 5000 étudiants ?
Toujours la petite question destinée à pousser dans leurs retranchements les partisans du retrait de la LRU et de l'annulation de la réforme de la recherche en cours, voire les sympathisants du mouvement - sympathisants sinon sur la forme, sur le fond (comme le Collectif Sauvons la recherche, qui se tient à distance de tout jugement sur lesdits blocages).
C'est, à chaque fermeture d'Université, depuis bien longtemps, la question rituelle qui agite les débats, un peu partout. L'AG est-elle légitime ?
Sur le plan légal, nul doute qu'elle n'a pas de fondement prévu par la loi. Sur son opportunité active (et donc son éventuelle légitimité), il y a débat. Ce qui l'affaiblit sont sans doute la présence de participants extérieurs, ainsi que ses votes annexes souvent démagogiques. Un commentateur remarquait de façon amusante : ''Pour prendre possession du vote d'une AG, il suffit de faire voter qu'il y aura deux fois du dessert.'' Car l'AG est un merveilleux lieu d'élevage de langues de coton, où l'on vote à qui mieux mieux, fort d'une tradition universelle héritée en droite ligne de l'esprit de notre Préambule constitutionnel, l'arrêt de la faim dans le monde et l'interdiction de la pauvreté. Sur ce sol fertile béni des dieux, les promesses y poussent sans même les arroser de Kro.
Mais CSS ne fait pas de politique, et la question de la minorité agissante illégitime ou visionnaire l'est assurément ; on s'arrête donc au seuil de l'amusement.
En revanche, il est un paradoxe absolument admirable qui ne semble relevé par aucun journaliste, et dont CSS se délecte immanquablement avec autant d'agacement que d'hilarité.
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Le petit souci
Les rédactions s'extasient en effet lorsque les présidents d'Université décident un vote à bulletin secret pour ou contre le blocage de la faculté - assez certains, au demeurant, qu'une majorité réclamera sa levée et que la minorité sera donc discréditée pour poursuivre son combat au nom de tous.
Car, le vote (sur listes et à bulletin secret), c'est l'essence de la démocratie.
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Le problème, c'est qu'il manque un lien logique. La démocratie - et c'est irritant, voire inquiétant - est souvent réduite au vote dans l'imaginaire collectif, accompagnée parfois du pluralisme de la presse.
Le problème, c'est juste le droit. Pourquoi poser la question de la légitimité d'une AG alors qu'un vote à bulletin secret est censé prendre une décision... contraire à loi ?
La loi étant votée par les représentants de l'ensemble de la Nation, une catégorie de ladite nation ne peut elle-même s'attribuer des licences en dépit des autres membres de cette même nation.
Et c'est bien ce qui est cocasse : on entend des commentateurs (ou des hommes politiques...) pousser des cris d'orfraie contre l'illégitimité gauchiste des AG... mais tout le monde s'accommode des apparences de démocratie du vote à bulletin secret, alors même que le principe de l'attribution de privilèges d'une catégorie par elle-même tient plutôt de l'Ancien Régime...
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Les conséquences
Au delà (ou en deçà, peut-être...) de la question de la légitimité 1) des revendications 2) des blocages 3) des AG, il y a tout de même une façon de poser des débats assez récurrente, avec des biais dans la pensée qui rendent assez admirable l'assurance avec laquelle ces préceptes sont énoncés.
On est ainsi capable de mettre en valeur un détail tout à fait admirable (ou répréhensible) au détriment de la structure de l'ensemble. Ici, on loue le vote à bulletin secret par rapport à l'AG, sans regarder que ledit vote n'a pas plus de fondement légal, et ne règle donc pas la question de fond de la légitimité ou non des blocages.
Ces illusions d'optique ne sont pas toujours anecdotiques, elles ont parfois des effets spectaculaires et... assez peu démocratiques, justement. En avril 2002, les électeurs (ou pêcheurs du dimanche, dans certains cas...) déçus des résultats sont descendus dans la rue pour manifester leur désapprobation - geste tout à fait sain, de s'emparer de la vie publique lorsqu'on l'estime menacée. En revanche, les médias ont réalisé pendant quinze jours une propagande absolument vertigineuse en vantant les manifestations spontanées pour sauver la démocratie. [Alors que le FN, en dépit d'une culture assez peu démocratique il est vrai, est un parti tout à fait légal et ne professe pas, malgré sa tradition assez antiparlementariste, la dissolution des Assemblées.] C'était clairement une prise de parti, totalement contraire aux règles de l'Etat de droit, et qui n'a été que fort peu dénoncée - y compris, étrangement, par le parti concerné.
Tout cela pour signifier que ces effets de zoom et ces erreurs de recul ne sont pas qu'anodins... et en plus d'être inexacts ou irritants, comportent quelque danger. Ils sont sans nul doute largement sincères, mais précisément, ne pas percevoir l'idéologie en croyant à l'objectivité, c'est précisément la limitation, voire la prédation de la démocratie.
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[Voilà pourquoi lire CSS est non seulement bon pour la santé individuelle, mais en plus salutaire pour la santé de la collectivité démocratique. Au delà de trois commentaires par jour, des cadeaux à gagner et peut-être une place au tableau d'honneur des commentateurs.]
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