Art, conscience et communication
Par DavidLeMarrec, vendredi 23 juillet 2010 à :: Vaste monde et gentils - En passant - brèves et jeux :: #1576 :: rss
Jean Guillou fait savoir ostensiblement, par le biais de l'Association AUGURE qui oeuvre à son juste rayonnement, qu'il refuse la Légion d'Honneur, ce qui inspire aux lutins quelques commentaires.
Voici déjà le texte du communiqué, que vous avez peut-être déjà lu dans la presse :
Une Légion d'Honneur refusée
Découvrant avec stupeur son nom parmi la promotion du 14 juillet de la Légion d'Honneur, le compositeur et organiste Jean Guillou a pris la décision de refuser cette distinction qu'il n'a jamais sollicitée : à l'heure où la musique dite "savante" ou "classique", d'ailleurs quasiment ignorée dans ladite promotion de la Légion d'Honneur, voit sa place diminuée par toutes les instances officielles (pensons au récent scandale déclenché par la sélection des pensionnaires de la Villa Médicis, où, pour la première fois, la place ouverte aux musiques de variétés ou de genres plus "commerciaux" restreint celle dévolue aux compositeurs dits "savants", malgré les conditions autrement moins rentables que ceux-ci doivent affronter !), il lui apparaît que sa dignité de musicien impose de repousser cet accessoire honorifique non accompagné des conséquences idéologiques qui devraient s'ensuivre.
Son indépendance viscérale l'a toujours maintenu hors des circuits officiels, et l'ironie veut que l'État lui confère un brevet de reconnaissance à l'occasion de ses 80 ans, comme si son talent se trouvait majoré par ce chiffre rond. Mais la seule consécration qui vaille pour un artiste est la diffusion publique des fruits les plus innovants de son imagination : or, on continue d'ignorer dans les cités françaises ses compétences organologiques (alors que l'Europe se couvre d'instruments originaux conçus par lui), et les programmations des scènes nationales tardent à reconnaître la diversité de son oeuvre de compositeur, pourtant accueillie dans les grandes salles de concert étrangères.
( source )
Il m'apparaît toujours indélicat d'amalgamer une personne avec sa communication. Le communiqué n'est peut-être pas de sa main, et quoi qu'il dise, ne reflète pas nécessairement la pensée profonde ni les intentions d'affichage public de son auteur.
Mais pour ce qui en paraît au public, il y a là de quoi nourrir la réflexion sur l'enjeu de l'acception ou du refus d'une telle distinction.
La Légion d'Honneur n'est pas un poste, elle est une simple marque honorifique, et peut donc se refuser sans dommage. Aussi, beaucoup de ceux qui n'en avaient pas besoin pour asseoir leur respectabilité ont pu être tentés de la retourner à l'envoyeur. Est-ce de l'intégrité (ne pas faire récupérer son mérite par le pouvoir), est-ce de l'orgueil (on s'estime au-dessus de la récompense - et accessoirement c'est toujours relayé avec plus d'éclat), la question est toujours la même : est-ce noble, est-ce goujat ?
Ce communiqué sollicite à la fois ces deux dimensions.
L'une positive :
- Il s'agit d'indiquer qu'on n'a pas demandé à être promu, donc de protéger son intégrité aux yeux du public.
- Il s'agit aussi de manifester que la place du domaine qu'on représente doit être assurée par la puissance publique, plutôt que d'en honorer les ruines - on peut discuter le constat, mais la démarche en est plutôt généreuse.
L'autre moins plaisante :
- L'un des motifs principaux du refus semble être l'insuffisance de cette récompense, puisque le compositeur souhaiterait être joué ! Il est vrai que son catalogue abondant est peu pratiqué, mais il dispose tout de même de ses entrées dans de prestigieuses institutions d'enseignement, sans parler de son terrain de jeux de Saint-Eustache, où il peut jouer à loisir transcriptions, improvisations et compositions. C'est tout de même un peu extraordinaire que de justifier le refus d'une Légion d'Honneur en considérant que son mérite propre n'est pas assez reconnu.
Impressions mitigées, donc. Je ne trouve pas le communiqué très habile parce qu'il dit ostensiblement je mérite la Légion d'Honneur, mais comme je vaux mieux, je la refuse (on n'était pas obligé de signaler ce refus), mais il est toujours extrêmement difficile de communiquer sur ce refus, et des intentions plus altruistes, qu'elles soient profondes ou un peu plus poseuses, percent agréablement.
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