Déception - [Arabella / Jordan / Marelli / Fleming - Bastille 2012]
Par DavidLeMarrec, mercredi 9 mars 2011 à :: Vienne décade, et Richard Strauss - Saison 2011-2012 :: #1678 :: rss
1. Déclaration d'amour
C'est avec beaucoup d'enthousiasme qu'on a entendu avec insistance, depuis une bonne année à présent qu'Arabella de Strauss / Hofmannsthal serait programmée la saison prochaine à Paris.
Il faut dire que les lutins l'aiment passionnément, cette oeuvre lumineuse et babillarde !
En témoignent quelques notules :
- R. STRAUSS - Arabella - I - Origine du prénom Arabelle- R. STRAUSS - Arabella - II - Introduction à l'oeuvre
- R. STRAUSS - Arabella - III - Magie de la modulation et des leitmotive
- R. STRAUSS - Arabella - IV - Quelle suite ?
- R. STRAUSS - Arabella - V - La source et la conception : deux textes et beaucoup de bricolage
- R. STRAUSS - Arabella - Discographie exhaustive
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2. Problème
C'est avec pas mal de dépit aussi que cette annonce s'accompagnait du nom de Renée Fleming.
Pour diverses raisons, qui peuvent se détailler.
=> Je n'aime ni le timbre ni les manières, à part dans l'opéra français où elle épure pas mal et où sa diction est meilleure qu'ailleurs - et bien sûr dans l'opéra américain où elle excelle (idéale pour Blanche Dubois chez Previn ou pour la Présidente de Tourvel chez Susa).
=> Dans le Strauss "salonnard" et aristocratique, elle souffre d'une diction insuffisamment nette, mollement articulée, d'un allemand correct mais pas totalement exact, et d'accentuations expressives assez timides (ou pas très justes). La nature même de la voix, très lyrique mais timbrée au détriment de la clarté des voyelles, se prête mal à la "conversation musicale".
=> Enfin vient un critère qui confine à la goujaterie, mais qui, cependant, se ressent avec persistance (manifestement pas que chez moi). En termes de manières, il y a quelque chose, dans l'aspect, le maintien, la sophistication et jusqu'à son maquillage habituel quelque chose qui semble bien plus acquis, voire un peu souligné, que l'aristocratie déclassée de Strauss, à laquelle il ne reste plus que l'apparat et l'élégance des façons - le pouvoir, l'argent et la moralité ayant tout à fait disparu.
Chez Fleming, le ton général a quelque chose d'étudié qui confine à l'idée du parvenu, et qui crée une impression à l'opposé des personnages (finalement moins positifs, d'ailleurs !) concçus par Hofmannsthal. Et si peu que les metteurs en scène trivialisent, même un tout petit peu, le propos, en le rapprochant de la jet-set, disons, on se trouve alors plus près de la barmaid de motel que du dernier rejeton d'une aristocratie à son crépuscule.
La remarque est peu élégante, mais elle situe bien où la gêne confuse se trouve. Kiri Te Kanawa, dans ces rôles, avait quelque chose de "bourgeois", mais se fondait finalement de façon supportable dans un certain raffinement, plus ou moins kitsch, mais moins ostentatoire - il est vrai aussi que les mises en scène de Schenk favorisaient assez ces aspects-là, alors que Renée Fleming doit souvent composer avec des exigences autres.
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3. Conséquences
Pour être tout à fait concret : je ne parviens pas à écouter Arabella avec Renée Fleming, alors que ses seconds Vier Letzte Lieder, avec Thielemann, tarabiscotés mais originaux, m'intéressent vivement. Le manque de mots, la lourdeur de la ligne, tout s'oppose au portrait touchant de l'ingénue spirituelle, dont on attend clarté et incisivité. Parfait pour Thaïs, gênant pour Arabelle.
Et quelle frustration, dans cet opéra, de ne pouvoir s'identifier un minimum à l'héroïne, et de voir ses traits mollement décochés !
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La saison vient d'être publiée sur le site de l'Opéra de Paris il y a quelques minutes, et la déception est grande pour deux raisons.
4. Espoirs trompés
Il n'y a jamais eu autant d'excellentes Arabella que ces dix dernières années, y compris parmi des chanteuses célèbres. Karita Mattila ne semble plus le chanter - elle était totalement idéale au Châtelet, voix ductile mais expressive, douce et éclatante, avec une grâce de ballerine assez inimitable... et aurait sans nul doute encore tous les moyens nécessaires pour reprendre le rôle. Angela Denoke l'a mise à son répertoire, et on pouvait en particulier l'entendre à Dresde en 2005, avec une voix allégée et lumineuse comme on ne l'aurait pas imaginée - et dans un bon jour pour la qualité de diction.
Mais quitte à s'infliger Fleming par goût du directeur ou par volonté marketing, on pouvait espérer quelques jours d'alternance, comme cela arrive souvent pour ce genre de production prestigieuse, avec des chanteurs moins célèbres. Car pour beaucoup moins cher, on pouvait nous proposer une distribution B avec une ou deux dates, rien que pour moi : Michaela Kaune [1] ou Katharina Leitgeb, deux magiciennes de la voix et des mots, très solidement projetées, ça aurait été génialissime, mais je me serais très bien contenté de Pamela Armstrong qui est déjà dans le carnet d'adresses de Joel pour ce rôle, ou de Camilla Nylund. A l'exception de Nylund, je les ai toutes entendues dans le rôle, et on se situe aux plus hauts sommets, au delà même de ce qu'on peut espérer lorsqu'on ouvre la radio ou entre dans une salle de spectacle.
Et puis même une Arabella plus banale conviendrait, mais Fleming pour toutes les représentations, quel dommage... Voilà qui va renforcer la réputation (pas tout à fait justifiée) de bonbon anachronique qui s'attache à cet opéra.
Et la carrière de Katharina Leitgeb (ou même de Michaela Kaune, d'assez haut rang en Allemagne) n'est pas telle qu'elle refuse un engagement à l'Opéra de Paris pour un premier rôle, je pense !
Je m'en suis tenu à celles qui avaient déjà chanté le rôle, on pourrait aussi le confier à d'autres : Soile Isokoski, par exemple, aurait un profil idéal, avec une petite réserve sur l'aspect scénique, sans doute.
Je n'ai pas mentionné non plus Ann Schwanewilms qui a déjà le rôle à son répertoire, puisqu'elle chante régulièrement dans d'autres salles parisiennes et que Joel exige l'exclusivité sur Paris. Tout aussi volontairement omis Anja Harteros qui doit commencer à coûter cher et dont je n'ai pas trouvé l'Arabella, quoique fort honorable évidemment, aussi séduisante ni aussi accomplie que les autres citées.
Mais non, pas d'Arabella B sur le site de l'Opéra. Il faudra prier quelques saints dieux puissants pour l'annulation.
5. Regrets éternels
En lisant la distribution réunie, c'est même une poussée de désespoir.
Doris Soffel et Kurt Rydl dans le couple de vieux aristocrates, du grand luxe.
Julia Kleiter, excellente voix légère, alternant avec Genia Kühmeier, une Sophie du tonnerre, en Zdenka.
Joseph Kaiser pour un Matteo élégant et élégiaque.
Michael Volle pour un Mandryka percutant (la fin du II est toujours difficile à négocier en termes d'endurance et de puissance) et présent commme acteur.
Philippe Jordan à la direction musicale - la radiodiffusion de son Rosenkavalier était anthologique, même si ses nuances passent souvent mal en salle dans ce répertoire.
Et, la cerise confite sur la pièce montée, la mise en scène sera assurée par l'immense straussien Marco Arturo Marelli.
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Tout est réuni pour une Arabella gigantesque... reste à espérer que Fleming soit occupée ailleurs. Ou qu'elle nous surprenne très agréablement - ce qui est tout à fait possible, parce que c'est une grosse travailleuse qui ne négligera certes pas les opportunités de s'améliorer en reprenant le rôle.
Espoir.
Notes
[1] Une notule-portrait est prévue depuis assez longtemps. Une liedersängerin majeure en plus du reste.
Commentaires
1. Le mercredi 16 mars 2011 à , par Morloch
2. Le mercredi 16 mars 2011 à , par DavidLeMarrec
3. Le mardi 13 septembre 2011 à , par salomé Réjo
4. Le mercredi 14 septembre 2011 à , par DavidLeMarrec
5. Le lundi 13 février 2012 à , par salomé Réjo
6. Le lundi 13 février 2012 à , par DavidLeMarrec
7. Le mercredi 13 juin 2012 à , par salomé Réjo
8. Le mercredi 13 juin 2012 à , par DavidLeMarrec
9. Le jeudi 28 juin 2012 à , par misspyla
10. Le jeudi 28 juin 2012 à , par DavidLeMarrec
11. Le vendredi 29 juin 2012 à , par klari :: site
12. Le samedi 30 juin 2012 à , par DavidLeMarrec
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