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Déception - [Arabella / Jordan / Marelli / Fleming - Bastille 2012]


1. Déclaration d'amour

C'est avec beaucoup d'enthousiasme qu'on a entendu avec insistance, depuis une bonne année à présent qu'Arabella de Strauss / Hofmannsthal serait programmée la saison prochaine à Paris.

Il faut dire que les lutins l'aiment passionnément, cette oeuvre lumineuse et babillarde !

En témoignent quelques notules :

- R. STRAUSS - Arabella - I -  Origine du prénom Arabelle
- R. STRAUSS - Arabella II - Introduction à l'oeuvre
- R. STRAUSS - Arabella - III - Magie de la modulation et des leitmotive
- R. STRAUSS - Arabella - IV - Quelle suite ?
- R. STRAUSS - Arabella - V - La source et la conception : deux textes et beaucoup de bricolage
- R. STRAUSS - Arabella - Discographie exhaustive


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2. Problème

C'est avec pas mal de dépit aussi que cette annonce s'accompagnait du nom de Renée Fleming.

Pour diverses raisons, qui peuvent se détailler.

=> Je n'aime ni le timbre ni les manières, à part dans l'opéra français où elle épure pas mal et où sa diction est meilleure qu'ailleurs - et bien sûr dans l'opéra américain où elle excelle (idéale pour Blanche Dubois chez Previn ou pour la Présidente de Tourvel chez Susa).

=> Dans le Strauss "salonnard" et aristocratique, elle souffre d'une diction insuffisamment nette, mollement articulée, d'un allemand correct mais pas totalement exact, et d'accentuations expressives assez timides (ou pas très justes). La nature même de la voix, très lyrique mais timbrée au détriment de la clarté des voyelles, se prête mal à la "conversation musicale".

=> Enfin vient un critère qui confine à la goujaterie, mais qui, cependant, se ressent avec persistance (manifestement pas que chez moi). En termes de manières, il y a quelque chose, dans l'aspect, le maintien, la sophistication et jusqu'à son maquillage habituel quelque chose qui semble bien plus acquis, voire un peu souligné, que l'aristocratie déclassée de Strauss, à laquelle il ne reste plus que l'apparat et l'élégance des façons - le pouvoir, l'argent et la moralité ayant tout à fait disparu.
Chez Fleming, le ton général a quelque chose d'étudié qui confine à l'idée du parvenu, et qui crée une impression à l'opposé des personnages (finalement moins positifs, d'ailleurs !) concçus par Hofmannsthal. Et si peu que les metteurs en scène trivialisent, même un tout petit peu, le propos, en le rapprochant de la jet-set, disons, on se trouve alors plus près de la barmaid de motel que du dernier rejeton d'une aristocratie à son crépuscule.
La remarque est peu élégante, mais elle situe bien où la gêne confuse se trouve. Kiri Te Kanawa, dans ces rôles, avait quelque chose de "bourgeois", mais se fondait finalement de façon supportable dans un certain raffinement, plus ou moins kitsch, mais moins ostentatoire - il est vrai aussi que les mises en scène de Schenk favorisaient assez ces aspects-là, alors que Renée Fleming doit souvent composer avec des exigences autres.

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3. Conséquences

Pour être tout à fait concret : je ne parviens pas à écouter Arabella avec Renée Fleming, alors que ses seconds Vier Letzte Lieder, avec Thielemann, tarabiscotés mais originaux, m'intéressent vivement. Le manque de mots, la lourdeur de la ligne, tout s'oppose au portrait touchant de l'ingénue spirituelle, dont on attend clarté et incisivité. Parfait pour Thaïs, gênant pour Arabelle.

Et quelle frustration, dans cet opéra, de ne pouvoir s'identifier un minimum à l'héroïne, et de voir ses traits mollement décochés !

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La saison vient d'être publiée sur le site de l'Opéra de Paris il y a quelques minutes, et la déception est grande pour deux raisons.

4. Espoirs trompés

Il n'y a jamais eu autant d'excellentes Arabella que ces dix dernières années, y compris parmi des chanteuses célèbres. Karita Mattila ne semble plus le chanter - elle était totalement idéale au Châtelet, voix ductile mais expressive, douce et éclatante, avec une grâce de ballerine assez inimitable... et aurait sans nul doute encore tous les moyens nécessaires pour reprendre le rôle. Angela Denoke l'a mise à son répertoire, et on pouvait en particulier l'entendre à Dresde en 2005, avec une voix allégée et lumineuse comme on ne l'aurait pas imaginée - et dans un bon jour pour la qualité de diction.

Mais quitte à s'infliger Fleming par goût du directeur ou par volonté marketing, on pouvait espérer quelques jours d'alternance, comme cela arrive souvent pour ce genre de production prestigieuse, avec des chanteurs moins célèbres. Car pour beaucoup moins cher, on pouvait nous proposer une distribution B avec une ou deux dates, rien que pour moi : Michaela Kaune [1] ou Katharina Leitgeb, deux magiciennes de la voix et des mots, très solidement projetées, ça aurait été génialissime, mais je me serais très bien contenté de Pamela Armstrong qui est déjà dans le carnet d'adresses de Joel pour ce rôle, ou de Camilla Nylund. A l'exception de Nylund, je les ai toutes entendues dans le rôle, et on se situe aux plus hauts sommets, au delà même de ce qu'on peut espérer lorsqu'on ouvre la radio ou entre dans une salle de spectacle.

Et puis même une Arabella plus banale conviendrait, mais Fleming pour toutes les représentations, quel dommage... Voilà qui va renforcer la réputation (pas tout à fait justifiée) de bonbon anachronique qui s'attache à cet opéra.

Et la carrière de Katharina Leitgeb (ou même de Michaela Kaune, d'assez haut rang en Allemagne) n'est pas telle qu'elle refuse un engagement à l'Opéra de Paris pour un premier rôle, je pense !

Je m'en suis tenu à celles qui avaient déjà chanté le rôle, on pourrait aussi le confier à d'autres : Soile Isokoski, par exemple, aurait un profil idéal, avec une petite réserve sur l'aspect scénique, sans doute.
Je n'ai pas mentionné non plus Ann Schwanewilms qui a déjà le rôle à son répertoire, puisqu'elle chante régulièrement dans d'autres salles parisiennes et que Joel exige l'exclusivité sur Paris. Tout aussi volontairement omis Anja Harteros qui doit commencer à coûter cher et dont je n'ai pas trouvé l'Arabella, quoique fort honorable évidemment, aussi séduisante ni aussi accomplie que les autres citées.

Mais non, pas d'Arabella B sur le site de l'Opéra. Il faudra prier quelques saints dieux puissants pour l'annulation.

5. Regrets éternels

En lisant la distribution réunie, c'est même une poussée de désespoir.

Doris Soffel et Kurt Rydl dans le couple de vieux aristocrates, du grand luxe.

Julia Kleiter, excellente voix légère, alternant avec Genia Kühmeier, une Sophie du tonnerre, en Zdenka.

Joseph Kaiser pour un Matteo élégant et élégiaque.

Michael Volle pour un Mandryka percutant (la fin du II est toujours difficile à négocier en termes d'endurance et de puissance) et présent commme acteur.

Philippe Jordan à la direction musicale - la radiodiffusion de son Rosenkavalier était anthologique, même si ses nuances passent souvent mal en salle dans ce répertoire.

Et, la cerise confite sur la pièce montée, la mise en scène sera assurée par l'immense straussien Marco Arturo Marelli.

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Tout est réuni pour une Arabella gigantesque... reste à espérer que Fleming soit occupée ailleurs. Ou qu'elle nous surprenne très agréablement - ce qui est tout à fait possible, parce que c'est une grosse travailleuse qui ne négligera certes pas les opportunités de s'améliorer en reprenant le rôle.

Espoir.

Notes

[1] Une notule-portrait est prévue depuis assez longtemps. Une liedersängerin majeure en plus du reste.


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Autres notules

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Commentaires

1. Le mercredi 16 mars 2011 à , par Morloch

Rhooooh que c'est méchant d'en vouloir à ce point a la pauvre Renée que cela provoque ici l'écriture d'un long billet d'humeur. Ce n'est tout de même pas une chanteuse indigne. Il est grand temps que je repasse plus souvent sur ce blog redresser les torts perpetrés par le maitre des lieux en toute impunité.

Non mais non mais non mais... Et puis elle va donner une prestation géniale du rôle, rien que pour contredire ta stigmatisation de ses talents de chanteuse, je le pressens :)

2. Le mercredi 16 mars 2011 à , par DavidLeMarrec

Je ne lui en veux absolument pas, je regrette simplement que l'image de cette oeuvre et surtout mon plaisir personnel soient dégradés par sa présence qui ne me paraît pas adéquate ici, pour les raisons que j'ai avancées.

Ce n'est pas une chanteuse que j'aime démesurément, mais il ne fait nul doute qu'elle a une grande maîtrise technique, une vraie signature vocale, et je la trouve passionnante dans certains rôles américains ou français.

Quant à une prestation géniale, j'ai précisément évoqué le scénario en fin de notule, ce n'est pas impossible.

(Pour info, ce billet d'humeur est l'un des plus lus de ces dernières semaines, comme quoi la glottophilie et le sang vont bien ensemble. :-) )

3. Le mardi 13 septembre 2011 à , par salomé Réjo

Les bras m'en tombent, telle n'importe quelle Vénus de Milo...Renée Fleming est géniale dans Arabella comme elle est magnifique dans la Maréchale du Chevalier à la Rose,comme elle a été époustouflante dans Otello à la Bastille.J'ai vu Arabella avec Karita Mattila au Chatelet, c'est classe, mais pour Miss Fleming, j'irai à toutes les représentations. Que ceux qui sont tièdes n'y aillent pas car les enthousiastes seront nombreux!!!!!!Ceux qui ont des places en trop peuvent me contacter.Mon conseil : si vous n'aimez pas un opéra, n'y allez pas, il y aura de la place pour ceux qui l'aiment. NB : je m'applique ce même conseil..

4. Le mercredi 14 septembre 2011 à , par DavidLeMarrec

Bonsoir Salomé,

Je suis tout disposé à répondre de façon détaillée à vos remarques, mais ne serait-il pas judicieux de commencer d'abord par lire attentivement ce que j'ai écrit, au lieu de supposer ce que j'aurais pu écrire si jamais j'avais été exactement à l'opposé de votre avis ? :)

5. Le lundi 13 février 2012 à , par salomé Réjo

Je repasse sur ce site : sorry, mais ,pour moi, Renée Fleming, c'est ce qui se fait de mieux en Arabella,Desdémone, Armide, Rodelinda, la Maréchale du chevalier à la rose, Tatiana, what else? J'espère qu'elle viendra tous les étés à la Bastille. Cette femme est une actrice sublime, une chanteuse magnifique, c'est la reine de la Bastille, sauf pendant l'ère Mortier.. quel gâchis!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!Viva la Fleming.

6. Le lundi 13 février 2012 à , par DavidLeMarrec

Dont acte.

Puis-je, à défaut de tout le reste qui est plus subjectif, objecter la qualité linguistique ? En allemand, c'est perfectible mais acceptable ; en russe, c'est tout de même plutôt exotique pour produire absolument la meilleure.

Ce serait plutôt sa Rusalka qui forcerait mon admiration : malgré tout ce qui l'éloigne de la couleur locale, le résultat est étonnamment naturel (dans un studio de surcroît).

Cela dit, il y a sans doute peu à discuter contre l'inconditionnalité (et les propos que vous me prêtiez initialement). :)

7. Le mercredi 13 juin 2012 à , par salomé Réjo

Ca y est, c'est le moment, 9 fois Renée Fleming à Paris pour Arabella!!Je vous conseille d'aller à toutes les représentions, ne vous privez pas du plaisir! On n'a jamais marre du soleil, du jasmin , du champagne, de la sublime voix, et de la présence scénique capiteuse de Miss Fleming. En plus, il y a des airs magnifiques, un bal , une fête, bref allez y!! Si vous avez vu la représentation de Zurich, elle est en DVD, vous voyez que cette Fleming est somptueuse ! D'ailleurs, otello, l'an dernier, à la Bastille, les jours normaux et les jours de grève, c'était également à tomber ! Inoubliable !

8. Le mercredi 13 juin 2012 à , par DavidLeMarrec

Bonsoir Salomé,

Oui, précisément, j'ai vu le DVD de Zürich. Tout s'explique.

Bonne soirée.

(Et ne manquez pas de lire, un jour ou l'autre, la notule correspondante...)

9. Le jeudi 28 juin 2012 à , par misspyla

What is this ? Ce site appartient t'il à Mr le Marrec ? Dans Arabella, Renée Fleming est enchanteresse, fatale (Télérama), divine (la Tribune),magnifique (moi), et pourtant, je vais souvent à l'opéra , mais là, je suis bluffée. Je ne suis pas née de la dernière pluie, et je remarque que Mr le Marrec se vante d'avoir 1000 fois raison quand il "notule"...
Cette froideur, cette sévérité, qu'ont elles à voir avec l'art ? Si tu n'aimes pas, n'y vas pas, regarde le foot, lol!!

10. Le jeudi 28 juin 2012 à , par DavidLeMarrec

Je me réjouis fort, Miss Pyla, que vous ayez daigné contribuer à mon enchanteur et fatal bêtisier (Les Echos).

Vous êtes cela dit en bonne compagnie, parce que si Télérama a réussi à écrire qu'Arabella était un rôle de femme fatale, c'est en effet admirable (L'Humanité).

Je regrette cependant que cette accumulation donne l'impression que les admirateurs de Renée Fleming ont quelques lacunes en déchiffrage de phrases françaises (Charlie Hebdo), ce qui n'est pourtant pas le cas pour la majorité d'entre eux.

C'est d'ailleurs la première fois que se succèdent sur ce site une kyrielle d'anonymes vindicatifs manifestement incapables de lire un texte de plus de 999 caractères. J'en tiendrai compte la prochaine fois que je m'exprimerai sur Renée Fleming, j'ajouterai un abstract, ce sera plus prudent.

11. Le vendredi 29 juin 2012 à , par klari :: site

Je ne doute pas que tu soies tout à fait capable d'écrire de passionnantes chroniquettes à propos de foot.

Sisi.

12. Le samedi 30 juin 2012 à , par DavidLeMarrec

Figure-toi que j'avais remarqué, il y a quelques années, que les Suédois avait une attitude très balletistique, avec beaucoup de sauts et de verticalité dans les communications de balle, pour un résultat assez aléatoire (tout dépend non seulement de qui touche ensuite le ballon, mais ensuite dans quel sens celui-ci rebondit... et enfin qui le récupère), mais assez esthétique.

Et que lis-je cette année dans les journaux, des remarques sur le jeu très aérien de la Suède (qui une fois de plus ne tire pas parti de ses qualités esthétiques dans le monde cruel et prosaïque du sport).

Tu vois, il y aurait matière...

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