L'authenticité manquante & l'italianité triomphante - [les traités de Rameau]
Par DavidLeMarrec, mardi 12 avril 2011 à :: Baroque français et tragédie lyrique - En passant - brèves et jeux :: #1699 :: rss
En lisant le Code de musique pratique (Chapitre V, "Méthode pour l'accompagnement") de Rameau, paru en 1760, je suis frappé par quelques préceptes.
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D'abord le plus anecdotique :
Il me semble que les 'claviéristes' d'aujourd'hui, même les adeptes de l'authenticité, n'ont plus cette défiance du pouce, qui était utilisé essentiellement pour relever les touches bloquées. L'usage massif du pouce a d'ailleurs constitué une petite révolution dans l'histoire de la musique pour clavier, ouvrant la voie aux gammes du langage classique et aux arpèges du répertoire romantique.
La virtuosité de l'époque résidait plutôt dans une forme de souplesse entre les écarts digitaux. En effet Rameau recommande de jouer ainsi à la main droite :
- do - mi - sol => index - annulaire - auriculaire
- mi - sol - do => index - majeur - auriculaire
- sol - do - mi => index - annulaire - auriculaire
Autrement dit, un position très exotique, un peu tendue pour un habitué du jeu moderne, et possible grâce à l'étroitesse des touches (sur un piano, on serait à la peine, sans parler du poids nécessaire...). L'annulaire sert pour les intervalles de tierce avec l'auriculaire et le majeur pour les intervalles de quarte, ce qui permettait une bonne souplesse pour les différents agréments.
Evidemment, ces positions existent, mais il me semble qu'elles sont beaucoup moins systématiques (et même plutôt rares) aujourd'hui.
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Rameau, dans une langue limpide et une approche très pragmatique, privilégie le rapport au clavier, à des repères digitaux, qui doivent faciliter le raisonnement harmonique.
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Plus profondément, il est intéressant de noter que Rameau préconise de ne conserver qu'une note à la main gauche et les trois autres à la main droite.
Pourtant, la spécificité du son français provient précisément de l'étalement de l'harmonie de façon égale, comme dans un choeur, et non comme pour un clavier, à l'italienne. C'est très vérifiable sur les partitions de Lully ou Campra qui nous sont parvenues en version intégrale d'orchestre.
C'est cet équilibre qui donnait cette plénitude et cet équilibre au son français. L'usage des hautes-contre, tailles et quintes de violon dont on nous a rebattu les oreilles ces derniers temps - et qui ne m'ont à ce jour pas réellement convaincu - constitue ainsi une conséquence de cet étalement du son, et non sa cause. C'est bien là qu'est le plus important.
Comment Rameau, prince du goût français, révéré comme tel aujourd'hui comme de son temps, peut-il commettre ce sacrilège ?
Tout simplement, nous sommes en 1760, et la fusion des goûts italiens et français, souhaitée par Stuck (Batistin) et Campra, dans la première décennie du siècle, est devenue réalité, avec même pour partie un triomphe du goût italien. Cela se manifeste sur un grand nombre de paramètres, et notamment dans la "claviérisation" de l'écriture orchestre : les opéras de Rameau sonnent, contrairement à Lully, Destouches ou Campra, remarquablement sur un piano !
Il est amusant d'en trouver ainsi la trace dans de simples conseils techniques d'harmonisation de la basse chiffrée - préceptes qui ne sont vraiment pas ceux de Lully.
Les lutins facétieux préparent un point sur cette notion paradoxale d'italianité pour les prochaines semaines.
Commentaires
1. Le mercredi 13 avril 2011 à , par Simon
2. Le jeudi 14 avril 2011 à , par DavidLeMarrec
3. Le jeudi 14 avril 2011 à , par Simon
4. Le jeudi 14 avril 2011 à , par DavidLeMarrec
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7. Le jeudi 14 avril 2011 à , par Simon
8. Le jeudi 14 avril 2011 à , par DavidLeMarrec
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