À quoi ressemblait (la voix de) Maria Malibran ?
Par DavidLeMarrec, samedi 7 mai 2011 à :: Pédagogique - Glottologie :: #1714 :: rss
Ossia l'aspect des voix non documentées par le disque.
C'est une question que l'amateur de musique lyrique rencontre souvent, s'il s'intéresse au "grand répertoire" (comprendre : celui qui est souvent joué et représenté, donc en particulier Mozart, Verdi et Wagner). La question posée par La Stupenda en commentaires est l'occasion d'y consacrer une notule circonspecte.
Aujourd'hui, de surcroît, l'industrie musicale vend tout un pan de sa production (excellent pan au demeurant) avec des arguments très discutables invoquant l'authenticité de ce qui est joué.
Si bien qu'il est difficile dans ce cadre de ne pas se poser la question de ce à quoi ressemblaient les orchestres ou les voix qui ne sont pas documentés par le disque, mais cités en bonne ou mauvaise part dans les chroniques d'alors et par les théoriciens et esthètes d'aujourd'hui.
Avant de débuter, signalons qu'on a consacré une série de notules autour des limites de cette prétention à l'authenticité, se heurtant en particulier au fait que, même en restituant à la perfection l'exécution d'origine, on ne percevrait absolument pas la même chose que les contemporains, puisque les auditeurs seraient ceux qui ont entendu le Sacre du Printemps sur CD et non pas ceux d'origine, qui n'entendaient la musique qu'à l'Opéra, et seulement celle à la mode.
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Quels éléments ?
Je ne remets nullement en cause l'existence d'indices considérables sur ces voix inaccessibles : quantité de témoignages de musiciens et d'auditeurs permettent, en les recoupant, de dresser des portrait. On peut se représenter assez précisément étendue et tessiture, ainsi que certaines qualités (agilité, éclat, volume...) et dans une certaine mesure la couleur vocale.
Cela dit, sans remettre du tout en cause l'intégrité et l'intérêt de ces travaux (voir par exemple cette base de données passionnante déjà indiquée en ces pages), il me paraît concrètement impossible d'en tirer des conclusions trop fermes.
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1. Les limites des mots
D'abord parce que rien ne peut définir un timbre avec précision. Les mots ne peuvent pas recouvrir précisément la réalité acoustique d'un timbre : les mots qu'on emploie sont souvent d'ordre visuel ou tactile ("rond", "brillant", "souple", "doux", "gris"...), et sont avant tout des conventions, parfois partagées, parfois idiosyncrasiques.
Il faut donc se méfier de ce qu'on peut désigner par un même mot au fil des rédacteurs et des années.
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2. La mutation rapide de l'usage vocal
Ensuite, il est intéressant de considérer l'évolution des techniques de décennie en décennie, même pour la voix parlée. Pour s'en tenir à la voix chantée, quel fossé entre les techniques des années 20, celles des années 40, celles des années 60... Des mondes les séparent, leurs choix esthétiques en matière d'articulation, d'incivité, de nature du legato, de couleur, de place de la "couverture", et le plus immédiatement perceptible pour n'importe quel auditeur, de vibrato, sont complètement différents... alors qu'ils se revendiquent tous de la même école italienne en filiation continue, venue de Manuel Garcia, ainsi que de la révolution Gilbert Duprez.
Dans ce cas comment seulement imaginer à quoi ressemblait le chant en... 1810, si l'évolution est à ce point gigantesque en vingt-cinq ans en suivant les mêmes patrons théoriques et esthétiques ?
On ne peut donc pas avoir une idée exacte de ce que recouvraient ces caractéristiques générales.
On peut sans doute écarter plusieurs hypothèses grâce aux renseignements dont nous disposons, mais de là à en tirer des conclusions sur ce qu'étaient ces voix du passé, il y aurait peut-être quelque témérité.
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3. La valeur des témoignages
Beaucoup de textes dont nous disposons sont ceux des Marie-Aude Roux et Renaud Machart de l'époque, dont je ne nie certes pas la valeur, mais qui se situent tout de même plus dans l'écume des jours que dans l'étude approfondie et rigoureuse des phénomènes musicaux. [Et cette "superficialité" est encore plus sensible aux XVIIIe et XIXe siècles qu'au XXe où les critiques sont souvent plus formés et informatifs.]
Par ailleurs, ce que contiennent ces témoignages n'est que partiel. C'est un point important.
Ne disposant pas de toutes les données, on a tendance à transformer les informations restantes en essentiel, alors que ce n'est pas forcément le plus intéressant qui est relevé dans tous les textes. Observer la production écrite autour de la musique aujourd'hui donne une idée assez claire de ce que la seule lecture peut produire comme distorsion sur l'air du temps musical !
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4. Autres paramètres musicaux
Un certain nombre d'autres paramètres (diapason, effectif des orchestres, matériaux, modes de jeu, emplacements, salles, culture des auditeurs) ont évolué depuis les époques concernées. Une voix moyenne passera beaucoup mieux par-dessus un orchestre non vibré et de taille limitée, par exemple, qu'une voix large mais au-dessus d'un orchestre pléthorique, tout vibrato dehors et dans Bastille.
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5. La mythification des anciennes gloires
Enfin les créateurs eux-mêmes étaient ni plus ni moins que des êtres humains, donc le matériau disponible pour les compositeurs qui embauchaient qui ils pouvaient... et aussi des gens qui devaient gagner leur vie. Donc pas spécialement des sortes d'idéaux abstraits qu'on en fait parfois a posteriori, comme incarnant la volonté du compositeur. Certes, celui-ci devait s'adapter quelquefois aux moyens qui lui étaient proposés, mais cela ne signifie pas, loin s'en faut, que son écriture tout entière s'y limitait !
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Enseignements ?
Je ne nie pas que la recherche vocale historique ait ses attraits, et il y aura sans doute des chercheurs très informés pour me contredire, néanmoins je n'arrive pas à concevoir par quel biais on pourrait lever l'ensemble des réserves ci-dessus, et qui tempèreraient quelque peu les conclusions qu'on pourrait tirer de ces études.
Je songe à des affirmations du genre "Unetelle a une voix proche de Viardot", ; même "Truqchose n'a pas la voix prévue par le compositeur" peut être trompeur car les informations dont nous disposons ne portent pas forcément sur l'essentiel. Ces affirmations ne sont toutefois pas le domaine de ces recherches (ce sont seulement les conclusions que d'autres en tirent), j'en conviens tout à fait.
Tout cela considéré, je me garderai bien, de supputer sur la voix de Farinelli, Pasta ou Viardot. Et surtout d'en tirer les moindres conclusions sur ce que devrait être le chant aujourd'hui - et a fortiori, naturellement, d'en déplorer le déclin.
L'authenticité est de toute façon en soi un leurre, ou à tout le moins une forme de vérité inaccessible. Elle peut être une source d'étude, de réflexion et d'inspiration, mais il n'est pas possible de la restituer (Dieu merci) : ne serait-ce que parce que la culture de ceux qui écoutent une musique n'est plus la même.
Commentaires
1. Le samedi 7 mai 2011 à , par La Stupenda
2. Le samedi 7 mai 2011 à , par DavidLeMarrec
3. Le dimanche 8 mai 2011 à , par Papageno :: site
4. Le lundi 9 mai 2011 à , par La Stupenda
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6. Le mardi 10 mai 2011 à , par La Stupenda
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