Saison 2012-2013 - le lien social à la française
Par DavidLeMarrec, mercredi 14 mars 2012 à :: Saison 2012-2013 - Vaste monde et gentils :: #1936 :: rss
A l'occasion du début des parutions des nouvelles saisons, je parcours certains lieux d'expression (forums en particulier) pas lus depuis longtemps, afin de m'éviter de guetter les dates ou de rater certaines soirées en feuilletant les programmes.
1. Humeurs - 2. Causes - 3. Premières annonces de la saison
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1. Humeurs
Comme à chaque fois, mais aujoud'hui de façon presque douloureuse, je suis frappé de la gronchonnerie (qui confine souvent à une forme de goujaterie assez avancée) qui semble prévaloir en beaucoup d'endroits (à peu près partout dès que le rassemblement est important). Et essentiellement, en ce qui concerne la Toile francophone, du côté de Paris. Ailleurs en France, on se plaint plus ou moins globalement de ne pas avoir ceci ou cela, et l'on se réjouit de ce qui est programmé d'intéressant.
A Paris, si j'en crois les expériences vécues pendant ces trois dernières saisons, une forme de rituel (pas omniprésent mais assez répandu) consiste à dire, année après année, que tout est de plus en plus nul. Le Concertgebouw est très surfait, Berlin n'est plus ce qu'il était, Pasdeloup n'est même pas un orchestre, Dudamel est une supercherie, et Eschenbach un bourreau d'enfants. [1]
Les années passant, j'ai tendance à trouver ce type de posture, en plus d'être ridicule (à force d'être prévisible), assez exaspérant. Pas vraiment parce qu'il s'agit de caprices puérils (où le jouet est considéré comme moche s'il n'est pas LE plus beau de la cour de récré...), mais plutôt à cause du manque absolu de mesure et de respect de ces propos.
Bien sûr qu'il est permis de critiquer ce que l'on n'est pas capable de faire, et que les professionnels ne sont pas forcément les meilleurs critiques de leur travail ; toutefois, lorsqu'on vient à prétendre que les plus grands spécialistes au monde sont tous des imposteurs (sauf la poignée que subjectivement on aime bien), cela sous-entend que personne n'est capable de faire de la musique au monde, et que seul celui qui critique est capable de voir où est la vraie musique que personne ne fait - et qu'il est lui-même incapable de produire, manque de chance.
J'ai le sentiment qu'il s'agit d'une affectation d'expertise (parfois assise sur de véritables compétences) où le spectateur-critique s'abuse lui-même sur l'omniscience de ce qui n'est que sa subjectivité. Il suffit de confronter n'importe quels mélomanes ou musiciens éclairés pour se rendre compte qu'on peut dire du mal de n'importe quel compositeur ou interprète majeur en toute bonne foi, alors qu'on dispose de la plus grande compétence musicale du monde.
Le phénomène est d'autant plus étonnant que dans les salles, le public ne réagit pas du tout de cette façon, généralement d'une chaleur bien au delà du poli - et contrairement à ce qu'on dit souvent, très majoritairement d'une grande correction (il suffit simplement d'un peu de désinvolture pour gêner une centaine de spectateurs, en réalité, et la plupart du temps on n'est pourtant pas gêné). Et ce, quel que soit le placement dans la salle (et donc le prix de la plupart des billets et le statut social des spectateurs).
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2. Causes
La première des causes est sans doute l'illusion bien naturelle d'universalité de ses goûts, mais elle est moins pardonnable chez des mélomanes émérites, qui en ont conscience - sauf pour eux.
A cela se mêlent d'autres motifs moins glorieux, comme le sentiment de supériorité ou le désir de briller - puisque critiquer revient à se considérer au-dessus de ce que l'on juge. Celui qui trouve tout bien prend le risque de passer pour un naïf, alors que celui qui est dur (et peut appuyer son exécration sur un petit décalage ou un détail de la partition) peut prétendre au statut d'expert ou de visionnaire.
Et précisément, là est, je crois, ce qui m'indigne (étrangement) avec plus de violence au fil des années : en dénigrant ainsi le travail (objectivement de haut niveau, si l'on prend pour mesure la durée des études, le degré de sélection et la virtuosité technique) des musiciens (et des programmateurs, eux aussi sévèrement jugés), on se sert de leur production pour hausser son propre mérite.
Quitte à être un instant excessif, j'y ressens un procédé proche du parasitisme : on crée son prestige en prenant appui sur le travail d'autrui, et même en l'abaissant de la façon la plus violente qui soit - les mots évoquant la nullité ou l'imposture sont fréquents. Et cela me met assez profondément mal à l'aise.
Bien évidemment, il n'y a rien de choquant à parler de façon un peu rapide de ce que l'on entend, à décréter au détour d'un chocolat chaud ou d'un lait vanillé qu'un concert est démiurgique ou tout-pourri, mais l'esprit de sérieux et la prétention de gravité de ce type d'assertion ne laisse pas planer cette ambiguïté, très souvent. La Musique est en danger, et les prophètes de malheur sont là pour la sauver, pas question de dire que la musique est somme toute un divertissement, et que sa potentielle mauvaise réalisation n'a pas autant d'impact que l'incompétence dans un dispensaire sur le front, par exemple.
Au demeurant, je ne fais qu'exprimer un sentiment de gêne personnel et ne prétends nullement régir (ni même juger) les goûts et dégoûts critiques : à chacun sa norme, et je n'entends pas imposer la mienne par-dessus celle des autres. On peut par exemple réagir vivement parce qu'on estime qu'une interprétation ou une mise en scène abîme une oeuvre qui nous est chère, ou simplement apprécier l'expression vive des opinions.
Ce qui n'empêche pas, évidemment, que je sois lassé, indigné ou mal à l'aise face à (ce que je perçois comme) une façon de mépriser confusément autrui.
Plus généralement, j'ai le sentiment que la râlerie est aussi une forme de lien social, et qu'on se force assez volontiers à exagérer une répulsion, voire à contrefaire une indignation (en toute bonne foi ici aussi) pour nourrir la conversation. Râler contre le mauvais temps, la réputation insuffisante de sa profession, l'encombrement des transports, les retards de la chaise de poste ou le caractère de son patron doit faire partie du génie français de la conversation.
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3. Premières annonces de la saison
Il est vrai que je ne rencontre pas vraiment ce problème en constituant mon calendrier musical, puisque je me satisfais très bien d'entendre une oeuvre rare (même un peu abîmée) ou une oeuvre que j'aime (pourvu qu'il subsiste un peu de l'urgence du concert), et que je ne me soucie pas d'entendre à chaque concert la version de référence ultime de chaque pièce.
Je concède tout à fait qu'écouter quatre intégrales Mahler par saison doit avoir un côté profondément désespérant au bout de la dixième année, lorsqu'on n'entend rien de nouveau ou de vertigineusement inspiré.
Cette saison-ci recèle forcément son lot de raretés et d'événements intéressants, parmi lesquels :
- Salle Pleyel :
- Phaëton de Lully, qui n'a pas été joué en France depuis 1993 (époque de l'intégrale quasiment épuisée de Minkowski) ;
- Les Contes d'Hoffmann dans l'édition de Jean-Christophe Keck, qui révolutionne réellement la cohérence de cette oeuvre incomplète (Minkowski) ;
- La Navarraise de Massenet (avec Alagna) ;
- une grande part de la musique de chambre (hors quatre mains et deux pianos) de Brahms (incluant donc des oeuvres moins faciles à entendre en concert) ;
- la Deuxième Symphonie de Bruckner - non pas qu'elle soit plus géniale que les autres, son adagio est aussi superbe que dans n'importe quelle autre brucknérienne, mais elle n'est pas très fréquemment jouée (contrairement à ce qu'on pourrait croire, Bruckner est finalement assez peu exécuté à Paris, pas plus de programmation que les symphonies de Sibelius) ;
- le Requiem de Dvořák (avec l'admirable Choeur de l'Orchestre de Paris), qui me paraît l'un des plus impressionnants du répertoire, et qui n'est apparemment pas très souvent donné en France ;
- Les Saisons de Glazounov (par Pletnev), une oeuvre ultralyrique à programme qui devrait grandement plaire au public ;
- une intégrale des symphonies de Szymanowski (très astucieusement couplée avec une intégrale Brahms, par Gergiev / LSO) ;
- diverses oeuvres de Lutosławski ;
- un début d'intégrale des symphonies de Chostakovitch (Gergiev / LSO) ;
- Faust de Schnittke ;
- les scènes de Sodome et Gomorrhe de K.-A. Hartmann (avec Matthias Goerne) ;
- des lieder orchestraux espagnols de Benzecry (par Christianne Stotijn et le Concertgebouw, enfin un orchestre invité qui fait des efforts de programmation !) ;
- Opéra Garnier :
- reprise de Capriccio avec Michaela Kaune en Comtesse Madeleine, un des grands lyriques les plus intéressants d'aujourd'hui (aussi bien dans les lieder de Schumann que dans Arabella, une vraie diseuse) ;
- couplage Zemlinsky / Ravel (Der Zwerg / L'Enfant et les Sortilèges), ce n'est pas le meilleur Zemlinsky mais le couplage est tout de même très chouette ;
- Opéra Bastille :
- la Gioconda de Ponchielli (la résurrection post-verdienne de la saison) ;
- la Khovantchina de Moussorgski (les titres en opéra russe étant à peu près aussi variés en France que les intégrales symphoniques, les cycles de lied ou les récitals de piano...) ;
- la Quatrième Symphonie de Nielsen (par Andrew Davis) ;
- Amphithéâtre Bastille :
- énormément de récitals comprenant des programmes rares (des Schindler-Mahler notamment, et même un programme tout-décadent de Riccarda Merberth !) ;
- le Notturno de Schoeck (avec voix) couplé avec le Quatrième Quatuor de Zemlinsky (!).
Et ce n'est pour l'heure qu'une institution et demi (il manque la Cité de la Musique, maison-mère de Pleyel). Et on ne parle pas du choix en théâtre ou de la Cinémathèque Française, ni même des petites salles de concert. Seulement de deux maisons.
Certes, si on veut voir les grands orchestres en tournée, on n'entendra pas beaucoup de neuf, et on sera même peut-être déçu, étant déjà fort bien loti au disque et à Paris. Mais si l'on souhaite simplement vivre des expériences inédites, il suffit de lire les programmes au lieu de se plaindre.
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Moi aussi, j'aurais beaucoup de regrets (ou plus exactement de souhaits) à formuler, notamment en ce qui concerne certains répertoires peu visités, mais il sera difficile d'en trouver un qui ne soit au moins un peu servi par la programmation. Et comme personne ne m'oblige à aller voir toutes les symphonies de Beethoven ou tout les Daphnis de la saison, tout va bien.
Les lutins publieront à l'été leurs suggestions toutes salles mêlées.
Notes
[1] Certains sites de discussion ont même instauré des "bureaux des pleurs" pour se plaindre de l'institution où ils achètent 90% de leurs billets ! C'est cela dit assez amusant, presque attendrissant.
Commentaires
1. Le jeudi 15 mars 2012 à , par Ugolino Le Profond
2. Le jeudi 15 mars 2012 à , par 808
3. Le samedi 17 mars 2012 à , par DavidLeMarrec
4. Le mardi 20 mars 2012 à , par klari :: site
5. Le mardi 20 mars 2012 à , par Ugolino le profond
6. Le mercredi 21 mars 2012 à , par klari :: site
7. Le mercredi 21 mars 2012 à , par DavidLeMarrec
8. Le mercredi 21 mars 2012 à , par DavidLeMarrec
9. Le jeudi 22 mars 2012 à , par Ugolino le profond
10. Le jeudi 22 mars 2012 à , par DavidLeMarrec
11. Le jeudi 22 mars 2012 à , par Ugolino le profond
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21. Le samedi 31 mars 2012 à , par DavidLeMarrec
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25. Le dimanche 1 avril 2012 à , par klari :: site
26. Le dimanche 1 avril 2012 à , par DavidLeMarrec
27. Le dimanche 1 avril 2012 à , par DavidLeMarrec
28. Le mardi 3 avril 2012 à , par Ugolino le profond
29. Le mercredi 4 avril 2012 à , par DavidLeMarrec
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