samedi 15 novembre 2014
[Nouveauté] — Mozart, Così fan tutte, Currentzis : l'opéra pour les musiciens
En l'absence de Diaire sur sol, je glisse seulement un mot ici : autant, dans les Noces (et plus encore dans le Requiem), l'entrain et les fantaisies de Currentzis fonctionnaient parfaitement, autant ce Così un peu malingre, et purement musical au milieu de ses jolis murmures, manque vraiment de mordant dramatique (un peu sur le modèle de sa Didon de Purcell, cherchant la fantaisie plus que la crédibilité). On a peine à sentir l'enjeu narratif qui fait pourtant toute la plus-value de cette œuvre particulière.
Pour autant, la virtuosité des musiciens (cordes en particulier : quelles fusées, quelle unité, quel grain !) reste très impressionnante, et assez jubilatoire, même si l'enjeu semble davantage l'ivresse du palpitement musical que l'opéra en lui-même — témoin par exemple le début du final du II, extraordinairement virevoltant (une cavalcade à peine crédible digitalement !), mais laissant plutôt de côté la dimension verbale de la bouffonnerie qui se joue. De même pour la séquence soudainement concertante du notaire, où s'invite le pianoforte… très belle chose, mais qui détourne l'attention d'un moment important de l'action.
C'est assez la direction générale de cette version : on sent que les musiciens se délectent de ce qu'ils peuvent tirer (parfois de neuf) de la matière musicale, sans trop se préoccuper de ce qui se dit. Dans la plupart des Mozart, la musique est suffisante pour le permettre, mais dans Così, on passe tout de même un peu à côté de l'essentiel.
La plus grande satisfaction vient de Kenneth Tarver, vraiment très beau — même si, en salle, la voix est vraiment petite, c'est parfait pour un studio tout en murmure où à l'échelle des autres il fait figure de grand lyrique radieux. Et, tout de même, le morbido « Donne mie » de Maltman et le « Per pietà » de Kermes, assez original dans son genre susurré (même si, à force, cela tient un peu du système et fonctionne sensiblement moins bien que dans le Trouvère ou « Tristes apprêts »).
Les diminutions ajoutées sur les cadences possibles sont assez réussies ; en revanche, quelquefois, les fins de phrases sont inutilement sèches et confinent un brin à l'effet.
Dans la veine un peu « distanciée », Kuijken me paraît infiniment plus touchant — réédité pour rien chez Brilliant Classics.
Je suis néanmoins persuadé que sur un tel parti pris, l'avis peut grandement changer selon l'inclination de l'auditeur, voire l'humeur de la circonstance. Dans les singspiele, j'aurais probablement adoré, mais pour Così, il restera forcément un peu de frustration en ce qui me concerne.
(Et ne croyez pas que ce soit un mouvement d'humeur, les contraintes techniques m'ont aussi donné l'occasion de me délecter des Tristan de Böhm 66 et Bernstein, que je fréquentais peu — et que je n'aimais même pas vraiment pour le second. Sans parler de quelques disques d'air de cour, mais une notule récapitulative est prévue dès qu'il y aura un peu de temps pour cela.)
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Carnet d'écoutes a suscité :
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