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[inédit] Boulez après les Folies Bergère : Agamemnon de Pierre Boulez




Le jeune Jean Rochefort déclamant sur du Boulez. Deux extraits choisis dans Agamemnon – avec notamment Jean-Louis Barrault (je n'ai pas trouvé la distribution intégrale).

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Grâce à Renaud Machard (et aux efforts de Flora Sternadel), on a pu redécouvrir récemment sur les ondes une heure de L'Orestie d'Eschyle par la compagnie des Renaud & Barrault, avec la musique de scène du jeune Boulez. Très intrigué par cet objet, on y a un peu regardé de plus près et on vous invite à suivre le voyage.

1. La force du destin

Le jeune Boulez, dont tout le monde loue les dons, doit faire bouillir la marmite. Aussi, parmi les rares ondistes (et très bon semble-t-il), il monnaie son talent… jusqu'aux Folies Bergère – j'ai lu que Martenot lui-même était fort satisfait de cette publicité grand public. Mais quand on voit comme Boulez parle des compositeurs de son temps, on peine à se figurer la frustration intérieure qui devait émaner de jouer de la musique d'orgue de barbarie pour viandes apprêtées. Jacques Barrault raconte que, lorsqu'il se mettait à parler, il jetait dans le caniveau jusqu'à Beethoven et Brahms, à peu près tous les classiques et romantiques…

Toujours est-il qu'en 1946, Madeleine Renaud et Jacques Barrault, précisément, quittent la Comédie-Française pour le Théâtre Marigny, où ils fondent leur propre compagnie. Le premier projet était celui d'un Hamlet dans la traduction d'André Gide, avec musique d'Arthur Honegger – pour cuivres, percussions et… ondes Martenot. Ce fut Honegger qui recommanda la perle rare, un étudiant en contrepoint qui avait une rare maîtrise de l'instrument lui-même peu fréquent (quoique grandement à la mode). Tout de suite séduits, les époux Renaud-Barrault lui proposèrent le rôle de directeur musical.

L'Opéra de Paris est plein de poussière et de détritus. N'y vont que les touristes, parce qu'il faut avoir vu l'Opéra de Paris. Il figure sur la liste des circuits touristiques, comme les Folies Bergère ou le dôme des Invalides, où se trouve le tombeau de Napoléon.

(tiré du fameux entretien du Spiegel de 1967, « Il faut brûler les maisons d'Opéra »)

2. Directeur musical

Bien que n'étant âgé que de vingt ans et n'ayant aucune expérience de la direction d'orchestre, Boulez est chargé de cet emploi, qui n'a pas de part décisionnelle (contrairement au directeur musical d'un orchestre ou d'un opéra, le chef permanent qui préside aussi à la programmation) et consiste en deux éléments principalement :

  1. mener depuis la fosse les parties musicales des représentations ;
  2. opérer des réductions des partitions jouées la dizaine ou la douzaine de musiciens présents.

Bien que cela nécessite d'être présent tous les soirs au théâtre, cela lui laissait aussi beaucoup de temps pour commencer à créer sa propre musique.

C'est un emploi bien valorisant pour un jeune qui n'a même pas encore fini ses études… mais cela l'a aussi conduit à diriger essentiellement les partitions théâtrales du temps, qui non seulement n'étaient pas de la musique pure, mais appartenaient aussi aux esthétiques qu'il méprisait le plus – essentiellement de la tonalité pas très hardie.

  • 1946 : Hamlet de William Shakespeare (musique d'Arthur Honegger)
  • 1946 : Baptiste, suite d'orchestre de Joseph Kosma tiré des Enfants du Paradis
  • 1947 : Amphitryon de Molière (musique de Francis Poulenc)
  • 1948 : L'État de siège d'Albert Camus (musique d'Arthur Honegger)
  • 1949 : La Fontaine de Jouvence, pantomime de Boris Kochno (musique de Georges Auric)
  • 1949 : Le Bossu de Paul Féval (musique de Georges Auric)
  • 1949 : Les Fourberies de Scapin (musique d'Henri Sauguet)
  • 1949 : Élisabeth d'Angleterre de Ferdinand Bruckner (musique d'Elsa Barraine)
  • 1950 : Malborough s'en va t'en guerre de Marcel Achard (musique de Georges Auric)
  • 1951 : On ne badine pas avec l'amour d'Alfred de Musset (musique d'Arthur Honegger)
  • 1953 : Le Livre de Christophe Colomb de Paul Claudel (musique de Darius Milhaud – est-ce la même que celle de l'opéra proprement dit ?)
  • 1954 : La Soirée des proverbes de Georges Schéhadé (musique de Maurice Ohana)
  • 1955 : Volpone de Ben Jonson, adapté par Stefan Zweig, lui-même traduit par Jules Romains (musique de Georges Auric)
  • 1955 : Intermezzo de Jean Giraudoux (musique de Francis Poulenc)


Honegger, Poulenc, Auric, Milhaud… on mesure mal à quel point Boulez a dû avoir l'impression d'agoniser chaque soir. Et renforcer sa mauvaise humeur – voir ci-après.

Toujours est-il que pour sa dernière année, les patrons lui confient la composition d'une musique pour L'Orestie d'Eschyle.

Le titre de directeur musical est plus impressionnant que le travail lui-même. La plupart du temps, j'arrangeais entre dix et douze minutes de musique — essentiellement des fanfares et pièces du même genre —, et quelquefois une demi-heure de pantomime. L'Orestie, la seule pièce que j'ai mise en musique pour Barrault, était un projet important musicalement, car c'était l'occasion d'introduire beaucoup de musique.

(retraduit depuis l'anglais)

3. Le projet de L'Orestie

Comme pour Le Livre de Christophe Colomb, les époux Renaud-Barrault souhaitent promouvoir une forme de théâtre total mettant largement à l'honneur la musique. Il s'agit d'un projet très sérieux : Barrault avait d'abord sollicité Paul Claudel pour utiliser son adaptation, mais devant la disparité des styles (Agamemnon ayant été fait bien avant les deux autres, à une autre époque de Claudel), devant aussi l'âge de Claudel qui ne lui permettait pas de travailler activement à une refonte ou même à des conseils actifs, les concepteurs du spectacle se tournent vers le Groupe de Théâtre Antique de la Sorbonne (à l'origine d'une version française des Perses, en 1936), qui lui recommande André Obey – son adaptation (en vue d'un raccourcissement significatif) est fondée sur la traduction (toujours de référence) de Paul Mazon, et vise à respecter autant la forme et l'esprit des originaux grecs que possible. De fait, il s'agissait de monter la trilogie dans sa continuité, si bien que les proportions devaient être considérablement plus courtes.
Mazon fut d'ailleurs invité à donner son avis, notamment sur les types de prosodie nécessaires selon les moments dramaturgiques de la pièce (dialogues libres, chœurs versifiés, moments d'exaltation psalmodiés…). Obey travailla, vers à vers, à trouver des équivalents prosodiques français aux vers grecs, un travail de grande précision, très fastidieux, qui prit plus d'un an.


On voit bien tout ce que le théâtre grec permet d'application pour un théâtre total, incluant fortement la musique. La mise en scène était, elle, plus inattendue, fondée sur une transposition parmi les rites traditionnels d'ascendance africaine au Brésil – et préparée par un voyage du couple en chef. Tout le principe était de renoncer à un classicisme compassé pour retrouver ce que la représentation grecque pouvait avoir de rituel… et les critiques du temps (de même que la bande sonore !) semblent attester que l'effet, à défaut d'avoir plu à tout le monde (à commencer par Barthes), était atteint.

À l'origine, Jean-Louis Barrault souhaitait même inclure des éléments des musiques de transe de candomblés et macumbas pour les Érinyes (il avait demandé à Boulez de repiquer les rythmes d'oreille). Comme on peut s'en douter, celui-ci a tout fait pour l'en dissuader. Tous deux ont écouté ensemble beaucoup de nô pour s'imprégner des climats possibles dans ce type de fusion texte-musique, à partir d'une tradition encore vivante. Boulez avait par ailleurs toute liberté dans son langage pour retranscrire les atmosphères grecques voulues.

Je m'intéressais à l'époque au théâtre Nô japonais et j'expérimentais avec cela à l'esprit.

(retraduit de l'anglais)

4. Les moyens et ajustements nécessaires

Pour ce faire, Boulez disposait d'un ensemble instrumental sans cordes (flûte, piccolo, hautbois, cor anglais, clarinette, trompette, harpe, glockenspiel, vibraphone, xylophone, cloches tubulaires, deux timbales et petites percussions – crotales, maracas…). Mais le chœur était constitué des acteurs.

Dans ses récits ultérieurs, le compositeur se montre très critique sur le réalisme du projet, qui tentait naïvement, en fin de compte, de reprendre les travaux infructueux de prosodie française comptée en quantités – Boulez cite même le modèle de Baïf au milieu du XVIe siècle, le plus fameux. À supposer que ce fût possible, il y avait beaucoup à faire, et les acteurs n'étaient pas formés pour acquérir en quelques semaines les notions solfégiques suffisantes pour différencier tous ces types de vers, de rythmes, d'appuis. De fait, il eut beaucoup de fil à retordre avec les acteurs, peu rompus à la musique, et même aux rythmes élémentaires. Même une fois les coupures faites pour faciliter le travail aux comédiens – et, par ailleurs, des rôles entiers, et même les Euménides complètes, vont disparaître pour des raisons de durée du spectacle –, il est très difficile de les faire chanter juste et ensemble. Pourtant, malgré le langage paraît-il dodécaphonique sériel, on est frappé par le nombre de notes répétées, par la simplicité des psalmodies (en tout cas des hauteurs, manifestement moins des rythmes), sans grands intervalles…


Mais vous pouvez l'entendre, sur la bande, on sent bien que les voix des acteurs (pourtant incroyablement saines et claironnantes, vues à l'aune d'aujourd'hui) peinent à trouver la bonne hauteur, à débuter et terminer les notes ensemble… Les sons très ouverts les empêchent de tenir les notes, notamment, et le défaut de solfège est évident. Boulez était tellement frustré que des récits ont surgi plus tard, racontant comment il jetait des chaises dans sa fureur, ou avait battu le rythme si fort sur le dos d'une comédienne qu'elle s'était évanouie ! Pierrot le fou.

Mais les acteurs n'étaient pas musiciens. Ils ne pouvaient exécuter un rythme simple. J'ai dû faire des changements et simplifier énormément.

(retraduit de l'anglais)

5. Et la musique ?

Car c'était un peu le sujet (elle ne devait, à l'origine, représenter qu'une mention au sein des carnets d'écoute…).

L'essentiel de la partition porte sur Agamemnon (les Choéphores comportent peu de musique, et Les Euménides furent supprimées dès la création bordelaire).

Elle était probablement assez neuve pour le public d'alors, mais pour nous qui avons entendu toutes les musiques de film et d'ambiance atonales, à base de contrebasses sourdes, de violons suraigus, d'aplats menaçants, elle paraît assez commune, et pas particulièrement évoluée. Elle atteint assez bien son but d'ambiance grecque, vu ce qu'on connaît désormais (et probablement guère alors) de la musique antique : sobre et peu mélodique, essentiellement constinuée par les interventions discrètes et finalées des timbales obstinées et d'un peu de flûte, à la façon de l'alliage aulos & percussions des origines. Quelquefois, les étranges aplats du vibraphone, mais elle n'est guère plus spectaculaire que cela.
J'aime assez, je dois dire, justement en raison de sa modestie : le chœur aussi, avec ses limites, rend bien la dimension archaïsante et incantatoire des stasima. La principale réserve réside dans le manque de variété – on a un peu l'impression d'entendre le même extrait d'accompagnement reproduit à l'infini.


Quelle ironie tout de même que Boulez, en fin de compte, atteigne le même effet (en moins bien, d'ailleurs) que Salamine de Maurice Emmanuel, Les Choéphores de Milhaud ou Les Perses de Prodromidès, des compositeurs issus de la tradition, très talentueux mais sans désir de renouveler fondamentalement le langage, qu'il devait mépriser de bien haut !

Quoi qu'il en soit, le résultat atmosphérique est assez beau. Et entendre les voix tonnantes des acteurs d'alors, capables de courbures mélodiques impressionnantes dans leur déclamation (du moins lorsqu'il ne s'agit pas de chanter !), est un délice – je suis frappé, d'ailleurs, comme leur grandiloquence sonne avec le plus grand naturel. De la grande expression pour du grand genre.

Toute la presse n'était pas aussi méchante, mais je ne peux résister au plaisir de vous reproduire le commentaire de Jean-Jacques Gautier, critique influent du Figaro (Prix Goncourt 1946), aux prémices d'une longue tradition dans la réception de Boulez et de ses pairs :

Avouerai-je que ce qu'on ose appeler la musique de M. Pierre Boulez m'a paru un abominable magma de sons discordants que cette somme de bruits prétentieux déchire les oreilles les moins sensibles. C'est du « tutu-panpan » pour public distingué, un hideux tumulte laborieusement agencé par un professionnel de la dissonance. [...]
Et maintenant, venons-en aux chœurs, J.-L. Barrault leur a imposé une espèce de diction saccadée et même un peu hoquetante qui rappelle le régime et les ratés des moteurs fatigués, le tout coupé par les lamentations en déséquilibre sur la soi-disante partition de M. Pierre Boulez.

[Oui, la syntaxe est étrange pour un Goncourt, je n'ai pas eu la patience de chercher l'exemplaire d'origine du Figaro pour vérifier l'exactitude de la citation.]

Je crois que le hoquet désigné n'était pas volontaire, mais l'effet des larynx remontant intempestivement lorsque les chanteurs essayaient, comme on le constate, de tenir leurs notes sur des voyelles trop ouvertes…

6. Postérité

Déjà dans une perspective de work in progress, de réutilisation spiralaire et de développement postériorisé, Boulez en retravaille la matière dans plusieurs œuvres autonomes au fil de la décennie qui suit : Strophes (1957), Don (1960), Éclat (1965).

L'œuvre a longtemps dormi dans les archives de la radio, mais grâce à France Musique, on peut en entendre une large part (quarante minutes), disponible en podcast :


Une petite bénédiction transmise par la radio publique !


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Commentaires

1. Le vendredi 24 avril 2015 à , par Benedictus

Grand merci! La notule est passionnante et les extraits très chouettes, en effet.

2. Le samedi 25 avril 2015 à , par David Le Marrec

J'en suis ravi. J'ai effectivement trouvé ça passionnant – malheureusement, aucune bande de Boulez aux Folies Bergère, mais ça se trouve peut-être en fond d'actualités d'époque… S'il y a un obsessionnel d'intéressé, qu'il n'hésite pas à se lancer. :)

Ce sont plus que des extraits, d'ailleurs : c'est l'intégralité de ce qui a été diffusé par France Musique (en fin de notule), et il y a une très grosse part d'Agamemnon là-dedans, en raison des réductions ; ces quarante minutes doivent en faire la moitié. Et comme il y eut peu de musique écrite pour les Choéphores

Pour quiconque aime à contempler ce qu'aurait pu être l'émotion du théâtre grec, je trouve l'expérience intéressante – peut-être plus pour les voix que pour la musique, d'ailleurs.

3. Le dimanche 26 avril 2015 à , par Ouf1er

Bon, quitte à faire les "fin fonds de tiroirs", y avait peut-être d'autres tiroirs à explorer, mais enfin, aprés celui-ci, ils vont peut-etre AUSSI explorer les autres....

4. Le lundi 27 avril 2015 à , par David Le Marrec

Renaud Machard a aussi programmé une série de cinq émissions autour des raretés de Richard Strauss, par exemple… On ne peut pas faire ce procès-là, l'émission Le Mitan des musiciens tourne autour de séries autour de figures très diverses.

Vu la place centrale de Boulez dans la politique culturelle en France, voire dans le monde – comme idéologue, fondateur d'institution, d'ensemble, « flécheur » de subventions, représentant symbolique de courants… il n'est pas du tout superflu de faire entendre des faces restées obscures dans son legs.
Il serait à peine exagéré de dire que mon entière vision du monde a changé depuis qu'il y a quelques semaines (à l'occasion d'une rétrospective biographique lue sur le site de la Cité de la Musique), j'ai découvert que Boulez avait exercé aux Folies Bergère. Depuis, je rigole tout seul dans une étrange béatitude à toute heure du jour et de la nuit.

Par ailleurs, il y a peut-être dix ans (ce qui, à l'échelle de la durée de ma vie mélomane, n'est pas rien) que j'espèrais entendre un jour Oubli signal lapidé. Comme je m'y attendais, c'est nul, mais au moins j'ai mis une musique derrière le titre rigolo.
Évidemment, entre ça et l'exhumation de Frédégonde de Saint-Saëns, ce serait tout vu, hein… mais ce n'est pas l'objet de l'émission, qui dure moins d'une heure et s'occupe toujours de réhabiliter plusieurs pièces à la fois. Évidemment, si on me demandait mon avis, une série d'inédits de Nadia Boulanger, Louis Aubert ou Louis Beydts piqueraient bien plus vivement ma curiosité.

(Fait amusant, Boulez était couplé, pour boucler le minutage de la série, avec… Maurice Jarre ! C'est sûr qu'en comparaison, Boulez paraît un très grand… Là aussi, au moins le fils est marrant.)

5. Le lundi 27 avril 2015 à , par Faust

Bonjour

J'observe que dans l'énumération des différentes facettes de Pierre Boulez, vous ne mentionnez pas le compositeur ... ni le chef d'orchestre, d'ailleurs ! mais, l'énumération n'est pas limitative ...

En ce qui concerne la politique culturelle, Boulez reste une sorte d'agitateur d'idées et surtout d'homme d'influence, car il n'a jamais exercé de responsabilités importantes dans les institutions culturelles. Il aura arraché aux Pouvoirs publics l'IRCAM et l'Intercontemporain, sinon son action se sera plutôt exercée par personnes interposées, par exemple Laurent Bayle.

Il me semble que, comme toujours, les propos de Renaud Machard sont remplis de sous-entendus ...

Comme tout le monde, lorsque j'ai appris que Pierre Boulez avait été ondiste aux Folies bergères, j'ai souri. Mais, l'explication ne vient-elle pas tout simplement du fait qu'au sortir de la seconde guerre mondiale il fallait aussi trouver du travail pour vivre ? Il y a aussi pas mal de musiciens d'orchestre très sérieux qui accompagnent des artistes de variétés ...

6. Le lundi 27 avril 2015 à , par Ouf1er

"Depuis, je rigole tout seul dans une étrange béatitude à toute heure du jour et de la nuit. "

J'imagine ! ;-)

7. Le mardi 28 avril 2015 à , par David Le Marrec

Bonsoir !

Faust :
J'observe que dans l'énumération des différentes facettes de Pierre Boulez, vous ne mentionnez pas le compositeur ... ni le chef d'orchestre, d'ailleurs ! mais, l'énumération n'est pas limitative ...

Non, bien sûr ; mais c'était à dessein néanmoins. En parlant de son influence, je parlais de son influence théorique et politique, donc le chef n'a rien à y faire. Quant au compositeur, il y a grandement débat (difficile à trancher à mon avis) sur son importance réelle : il est très visible, donc tout le monde s'y frotte, mais il est douteux qu'il soit l'un des plus intéressants du second XXe… Même dans son courant, d'autres ont écrit bien plus de pièces abouties. Je l'ai donc laissé de côté, soulignant seulement ce qui ne fait pas débat : son influence objective dans l'histoire de la musique de ces soixante dernières années.


Il me semble que, comme toujours, les propos de Renaud Machard sont remplis de sous-entendus ...

Je ne les ai pas perçus. Mais c'est très possible, j'étais déjà fort étonné qu'il lui consacre tout ce temps… et Machard a ses têtes, évidemment, comme tout critique un peu institutionnalisé (et comme tout mélomane, d'ailleurs !).


Comme tout le monde, lorsque j'ai appris que Pierre Boulez avait été ondiste aux Folies bergères, j'ai souri. Mais, l'explication ne vient-elle pas tout simplement du fait qu'au sortir de la seconde guerre mondiale il fallait aussi trouver du travail pour vivre ? Il y a aussi pas mal de musiciens d'orchestre très sérieux qui accompagnent des artistes de variétés ...

Ça n'a pas de rapport avec la guerre : au contraire, elle a libéré beaucoup de postes (entre les morts et les épurés) et donné des opportunités aux jeunes musiciens (enfin, ceux qui avaient survécu, hein), dans toute l'Europe.

Effectivement, c'est purement une question alimentaire pour un jeune musicien, a fortiori quand son instrument ne lui permet pas d'exercer régulièrement en cacheton ou supplémentaire.

Mais se figure ce qui pouvait passer dans le cœur de Boulez lorsqu'il servait de support à de la musique de cabaret, c'est tellement délectable… toutes les envies de meurtre qui devaient lui passer, lui qui jugeait déjà que Beethoven était de la musiquette. En tout cas, c'est le genre de chose (avec l'existence des grands altruistes) qui vous passe du baume sur la vie. Depuis que je l'ai découvert, pas un jour où je ne me le répète. :)

8. Le mardi 28 avril 2015 à , par Ugolino le profond

Je suis d'accord avec Faust, il m'a semblé évident que la ressortie de vieux enregistrements que Boulez aurait sans doute préféré ne jamais voir diffusés était un coup bas de la part de Machart, particulièrement plaisant, même si un peu facile, dans une semaine hagiographique jusqu'à l'abject.

"Pour quiconque aime à contempler ce qu'aurait pu être l'émotion du théâtre grec, je trouve l'expérience intéressante"

Il y avait déjà l'Oresteïa de Xenakis pour ça (mais pas au disque, pitié).

9. Le mardi 28 avril 2015 à , par David Le Marrec

Ah non, L'Orestie de Xenakis (qui a été enregistrée, si, que voulais-tu dire ?), avec ses gros aplats gras, n'a rien à voir. On est très loin des équilibres originaux. À Hélène, à la rigueur, pourquoi pas – encore que ce soit très typé modalité occidentale post-1600…

Que Machart l'ait fait par obligation, ou par inimitié (le couplage avec Jarre Sr, quand même !), c'est possible… mais en l'occurrence, on ne peut vraiment pas dire que le traitement de Boulez comme Mozart ou Beethoven, dont on multi-enregistre la moindre œuvrette, soit infamant.
En plus, ça répondait aux désirs des fans ou des curieux, je ne vois pas trop le coup bas là-dedans. Qu'il se soit délecté en le faisant, par supposition de l'irration de Pierrot, possible, mais ça n'a vraiment rien de déloyal du point de vue du contenu réel… En tout cas, moi, j'étais content – et j'ose dire que c'est le principal.

10. Le mardi 28 avril 2015 à , par Faust

En fait, tout ceci m'a remis en mémoire un concert de l'orchestre de Paris jumelé avec l'Intercontemporain d'il y a quelques années ... Cela devait être pour les 85 ans du maître ... Curieusement, le concert se prolongeait par une sorte de portrait de Boulez réalisé par les musiciens de l'orchestre de Paris et notamment par Eric Picard, violoncelle solo. Il devait ignorer l'Agamemnon ... Mais, on avait eu droit à son activité d'ondiste et à une alternance entre propos au ras de pâquerettes et extraits musicaux (parfois, de musique légère ...).

Boulez était resté après avoir dirigé le concert. Il était sur le côté avec Jean-Pierre Derrien - évidemment ! - qui était censé dialoguer avec lui. Je dois reconnaître que leurs brefs échanges étaient plus intéressants que la vision des musiciens de l'orchestre.

Mais, Boulez n'avait rien perdu de sa vivacité ! A un moment où on lui rappelait qu'il avait déclaré autrefois que la radio était composée d'ignorants dirigés par des incapables, il avait répondu qu'il ne savait pas s'il dirait la même chose aujourd'hui ... mais ajouté aussitôt que cela faisait longtemps qu'il ne l'écoutait plus !



11. Le mardi 28 avril 2015 à , par Ugolino le profond

"Ah non, L'Orestie de Xenakis (qui a été enregistrée, si, que voulais-tu dire ?)"

Précisément que le disque disponible ne rend compte absolument pas compte de la réalité de la partition et de l'effet produit en salle. C'est sans doute trop dionysiaque pour rendre tout à fait compte de la tragédie grecque, mais ca va incomparablement plus loin dans la captation du "quelque chose" de ce temps (et aussi beaucoup plus précisemment informé, voir les écrits de Xenakis sur la modalité et la musique antique) que les machins civilisés qui sentent l'effort laborieux comme ce Boulez ou les Choéphores de Milhaud.
Et si tu entends de "gros aplats gras", réécoute mieux, parce qu'il n'y en a aucun. C'est presque entièrement modal, mais d'une modalité traitée d'une manière très particulière.

Non vraiment, en effet ça n'a rien voir, mais rien à voir avec ce Boulez, c'est beaucoup plus fort, intéressant, pertinent, authentique et beau.

12. Le vendredi 1 mai 2015 à , par David Le Marrec

Bonsoir !

Faust :
Mais, on avait eu droit à son activité d'ondiste et à une alternance entre propos au ras de pâquerettes et extraits musicaux (parfois, de musique légère ...).

… mais pas jouée par le Maèètre, je suppose ?


Boulez était resté après avoir dirigé le concert. Il était sur le côté avec Jean-Pierre Derrien - évidemment ! - qui était censé dialoguer avec lui. Je dois reconnaître que leurs brefs échanges étaient plus intéressants que la vision des musiciens de l'orchestre.

Il est rassurant qu'un producteur de radio soit meilleur parleur (et moins bon instrumentiste) qu'un musicien, non ? :)

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Ugolino :
Précisément que le disque disponible ne rend compte absolument pas compte de la réalité de la partition et de l'effet produit en salle. C'est sans doute trop dionysiaque pour rendre tout à fait compte de la tragédie grecque, mais ca va incomparablement plus loin dans la captation du "quelque chose" de ce temps (et aussi beaucoup plus précisemment informé, voir les écrits de Xenakis sur la modalité et la musique antique) que les machins civilisés qui sentent l'effort laborieux comme ce Boulez ou les Choéphores de Milhaud.

Tu crois vraiment que la tragédie grecque n'était pas quelque chose de civilisé ? Parce que dans le genre codifié, tout de même, ça allait très loin, même dans la mesure en jugeant de ce qui nous est parvenu dans les traités. Ça devait sans doute plus ressembler à des monodies de duduk dans un formalisme lullyste et une atmosphère d'office de born again qu'au agrégats de Xenakis (qui était effectivement très informé, mais sa musique n'a pas de rapport aec ça, en réalité).

De mon point de vue (et là, effectivement, il y a place pour la subjectivité), la place laissée à la parole et à la psalmodie chez Milhaud, Prodromidès et Boulez capte infiniment mieux quelque chose du projet originel que la composition surchargée et hostile de Xenakis.


Et si tu entends de "gros aplats gras", réécoute mieux, parce qu'il n'y en a aucun. C'est presque entièrement modal, mais d'une modalité traitée d'une manière très particulière.

Ouais, enfin, de la modalité avec des accords de six sons, on est loin du principe de l'aulos jouant des mélodies tenant dans un tétracorde…

13. Le samedi 2 mai 2015 à , par Ugolino le profond

"De mon point de vue (et là, effectivement, il y a place pour la subjectivité), la place laissée à la parole et à la psalmodie chez Milhaud, Prodromidès et Boulez capte infiniment mieux quelque chose du projet originel que la composition surchargée et hostile de Xenakis."

C'est objectivement plus proche de ce que l'on en sait, mais nous ne sommes plus des grecs du Vème siècle avant J.-C.. Tenter de reproduire la tragédie, même partiellement, telle qu'elle était exécutée est un projet vain, qui a seulement sa place dans un musée. Il faut toujours plus, ou plutôt autre chose, que de simples ressemblances formelles pour se rapprocher d'une culture ou d'un temps, il faut toujours s'en approcher par des voies obliques. On n'entendra toujours qu'une tentative de récupération prise dans les esthétiques de son temps, ce qui n'est pas du tout le cas face à l'Oresteïa. Ce que capte Oresteïa, c'est bien la tension dramatique intérieure aux textes et qui a été partiellement aplanie par les siècles, et surtout l'expérience collective que la tragédie devait constituer. En concert, on entend conjointement quelque chose d'extrêmement ritualistique et codifié, et quelque chose d'extrêmement brut. On entend une étrangeté essentielle qui est pourtant réinvestie (et c'était le but de Xenakis) dans une expérience collective, à la fois par la musique (l'écriture du choeur notamment) et la forme générale de l'oeuvre, qui la rend accessible (et par conséquent, fondamentalement pas "hostile" mais tout le contraire, si tant est que l'on est ouvert).
La tragédie ne devait que très peu ressembler à l'Oresteïa. En revanche, je pense que c'est la seule oeuvre (en tout cas que je connaisse) qui se rapproche un tant soit peu (sans chercher directement à reproduire la tragédie ou à s'en approcher) de l'effet produit sur le public à l'époque, du ressenti des hommes qui la faisaient et la voyaient, de ce mélange de plaisir et d'effroi, d'expérience collective et de sidération individuelle, de catharsis en acte dans la forme de l'expérience esthétique - et c'est pour cela que je l'ai évoqué, puisque tu parlais de "l'émotion du théâtre grec".

14. Le dimanche 3 mai 2015 à , par David Le Marrec

C'est objectivement plus proche de ce que l'on en sait, mais nous ne sommes plus des grecs du Vème siècle avant J.-C.. Tenter de reproduire la tragédie, même partiellement, telle qu'elle était exécutée est un projet vain, qui a seulement sa place dans un musée. Il faut toujours plus, ou plutôt autre chose, que de simples ressemblances formelles pour se rapprocher d'une culture ou d'un temps, il faut toujours s'en approcher par des voies obliques. On n'entendra toujours qu'une tentative de récupération prise dans les esthétiques de son temps, ce qui n'est pas du tout le cas face à l'Oresteïa. Ce que capte Oresteïa, c'est bien la tension dramatique intérieure aux textes et qui a été partiellement aplanie par les siècles, et surtout l'expérience collective que la tragédie devait constituer. En concert, on entend conjointement quelque chose d'extrêmement ritualistique et codifié, et quelque chose d'extrêmement brut. On entend une étrangeté essentielle qui est pourtant réinvestie (et c'était le but de Xenakis) dans une expérience collective, à la fois par la musique (l'écriture du choeur notamment) et la forme générale de l'oeuvre,

Oui, c'est bien ainsi que je le perçois…

Néanmoins, pour moi, cette œuvre-là, finalement plus que les « reconstitutions » (nécessairement fantasmatiques elles aussi – les très rares sérieuses ne produisent d'ailleurs absolument rien sur un public d'aujourd'hui, moi le premier), fleure trop le XXe siècle d'avant-garde, la démonstration, l'affirmation que l'on n'est pas dans la facilité, l'installation par défaut dans la violence… Je vois bien ce que ça peut avoir de séduisant si l'on est réceptif à ce type de langage, mais ce n'est effectivement pas mon rayon – et je trouve, plus grave, que le texte est trop occulté par cette matière brute, comme s'il venait à appartenir à la musique (au lieu que la musique pénètre le texte pour lui donner de sa force).


je pense que c'est la seule oeuvre (en tout cas que je connaisse) qui se rapproche un tant soit peu (sans chercher directement à reproduire la tragédie ou à s'en approcher) de l'effet produit sur le public à l'époque, du ressenti des hommes qui la faisaient et la voyaient, de ce mélange de plaisir et d'effroi, d'expérience collective et de sidération individuelle, de catharsis en acte dans la forme de l'expérience esthétique

C'est à mon sens une vision exagérée de la tragédie antique : non seulement les motifs en était connus (ce qui diminue la sidération, comme lorsqu'on te raconte la Crucifixtion pour le cinq-centième dimanche), mais en plus la musique était beaucoup plus une musique d'accompagnement, le chant une psalmodie… on n'a pas du tout la démesure violente de la version de Xenakis.
On ne peut pas mesurer les affects des grecs de l'époque, mais vu le moindre confort de la vie quotidienne, la familiarité des sujets, l'impact physique limité des instruments (les moments choraux, sans doute plus impressionnants, n'étant presque jamais – sauf astuce comme dans Œdipe à Colone – des moments d'action), je doute que la sensation se rapproche de celle d'un film d'horreur dans un cinéma avec le son à fond.

Mais je vois bien là où tu veux en venir, c'est probablement le projet de Xenakis effectivement, et c'est une voie qui se défend – même si la place du texte, une fois encore, pose un problème à mes yeux. Emmanuel et Prodromidès, avec un langage autrement sommaire, m'emmènent bien plus loin dans l'identification, justement parce que la parole y est première, et que le langage musical n'attire pas l'attention sur lui-même (vrai aussi pour Boulez, d'ailleurs – moins pour Milhaud qui joue délibérément avec la sensation d'archaïsme).

15. Le lundi 17 août 2015 à , par Papageno :: site

Passionnant !! Merci pour la notule et le fichier audio !

16. Le lundi 17 août 2015 à , par David Le Marrec

Merci Patrick ! Je trouve ça effectivement très intriguant et amusant, moi aussi.

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David Le Marrec

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