[Carnet d'écoutes n°102] – Sur les Contes d'Hoffmann qu'on joue à Paris
Par DavidLeMarrec, mercredi 16 novembre 2016 à :: Saison 2016-2017 :: #2873 :: rss
Vous n'aimez donc pas la musique ? »
Ainsi dit ma voisine aux murmures charmants.
Madame, si vers vous je tourne, interloqué,
C'est que « Scintille diamant »
N'est pas noté karaoké.
Oui, je vous présente ma voisine quasi-immédiate, qui après avoir commenté les entrées et les voix tout fort pendant deux actes, s'est mise à chanter l'air de Dapertutto… Il a fallu non pas un, mais deux petits signes élégants (incluant ou n'incluant pas le majeur dressé, cela, vous ne le saurez jamais) pour y mettre un terme relatif.
Encore une fois, une brassée de remarques générales plus qu'une description du spectacle (multi-repris et vidéodiffusé…).
Télévision et spectacle vivant
Un certain nombre d'éléments sont difficiles à transmettre par-delà un écran, plus pour le théâtre que pour la musique, et cette production est encore un magnifique exemple de mise en scène de Carsen (comme Rusalka) qui paraît terne à la télévision, et impressionne très vivement en salle.
A fortiori comme, lorsqu'ici, le metteur en scène donne à voir pour tous les coins de la salle : en hauteur, on aperçoit des figurants qui continuent de jouer dans la coulisse ; de côté, on voit les personnages aller et venir aux bouts du plateau, pour que tout le monde puisse les voir lors de leurs interventions.
Le phénomène tient aussi au fait que les réalisateurs des captations de théâtre ou d'opéra sont pour la plupart des gougnafiers qui se prennent pour Hitchcock et font du gros plan sur des visages emplâtrés et éructants alors qu'une mise en scène d'opéra réussie inclut au contraire, surtout dans les grandes salles, une animation générale du plateau. Faire du gros plan sur une production de Carsen ou Herheim, c'est jouer Elektra avec deux violons seuls.
Les visages de l'opéra au hangar Bastille
J'ai profité de l'effet Kaufmannlos pour tester plusieurs placements. Et en effet, quel contraste entre le grand spectacle un peu lointain et global du second balcon, et l'impact beaucoup plus direct (sans parler du fait de distinguer des traits…) du parterre ! On retrouve alors l'émotion beaucoup plus directe de l'opéra, avec le grain des voix, un texte un minimum défini. Et ce, même si beaucoup de mises en scène de Bastille sont conçues pour être appréciées de loin, à commencer par celle-ci.
L'orchestre, en revanche, est bien plus prégnant en haut, ce qui est complètement logique. De partout, la réverbération un peu étrange de la salle (on entend ponctuellement des retours de voix, sans arriver à déterminer s'ils sont liés à la technique du chant, à l'angle, à la quantité d'instruments qui l'accompagnent…).
Pourquoi les chanteurs sont-ils célèbres ? Pourquoi sont-ils embauchés ?
De même que les fables du Grand Siècle, les ténors ne sont pas ce qu'ils nous semblent être.
Je dois admettre avoir été très agréablement impressionné par Ermonela Jaho, que je ne prisais guère ces dernières années ; mais en Antonia, elle évite ses travers tubants pour retrouver une forme de légèreté relative, où elle peut dispenser les mêmes somptueux artifices techniques sans dénaturer le timbre (ni la diction, assez bonne d'ailleurs, alors que ses rôles « élargis » en italien étaient assez terribles).
Ravi d'entendre Ramón Vargas enfin en vrai, mon ténor verdien chouchou lorsque j'ai découvert ce répertoire… Je vois enfin d'où vient le beau timbre et le côté couvé, un peu contraint, de la tierce aiguë : il maîtrise sans cesse le timbre par l'impédance, en laissant le son à l'intérieur des résonateurs, pour conserver toujours la rondeur, fût-ce au détriment de la facilité et de la puissance. Il y parvient fort bien, mais je m'explique pourquoi il n'a jamais déclenché l'hystérie d'autres ténors à l'émission plus franche (donc ressentie de façon plus physique) ou au volume plus impressionnant.
J'aurais été assez curieux de voir ce qu'aurait donné Cyrille Lovighi (Nathanaël) dans le rôle : sa clarté et son émission très directe (antériorité très faciale et faible impédance) le rendaient beaucoup plus présent d'un point de vue sonore et expressif (plus sonore que Kaufmann aussi). Bien sûr, Hoffmann réserve sur la longueur d'autres difficultés, mais j'aurais été intéressé – on imagine le scandale néanmoins, s'il avait remplacé Kaufmann…
Dans le même registre, Spalanzani limpide (un peu à la façon de Francis Dudziak) par Rodolphe Briand, il y a donc bien des francophones capables de servir ce répertoire (François Lis superbe aussi en Schlemil, l'Opéra de Paris est rarement inspiré sur les petits rôles, mais ici, c'est une grande fête !).
Ce qui m'en fait venir à Roberto Tagliavini (les quatre diables). Très bon chanteur, à qui il n'y a rien à reprocher (à part des décalages récurrents, mais c'était un début de série et ça a été le cas avec tous les chanteurs, modérément bien corrigés du côté de l'accompagnement). Mais je ne peux pas m'empêcher de me poser la grave question : l'Opéra de Paris peut choisir qui il veut (à part peut-être la dizaine d'artistes assez demandés et riches pour décliner vingt représentations dans un premier rôle devant 2000 personnes, radio- et vidéo-diffusé…). Alors, pourquoi lui ? Ni très sonore (un baryton-basse ou une basse chantante), ni très expressif (surtout dans un tel rôle), voix comme interprétation assez lissée par la langue étrangère, même si le français est bien articulé et émis…
On aurait pu choisir plus sonore (une basse plus rutilante), plus célèbre (quitte à ce que ce soit moins bien, je ne dis pas le contraire), dotée d'un français impeccable ou très agile sur scène ; un seul de ces critères supplémentaires, ça se trouve aisément sur le marché, surtout pour ce rôle qui n'est pas exactement confidentiel. Alors, pourquoi ? Mystère des réseaux et des agents.
Commentaires
1. Le vendredi 18 novembre 2016 à , par Olivier
2. Le dimanche 20 novembre 2016 à , par DavidLeMarrec
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