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Le pot-pourri ultime de Star Wars, pour piano et costumes


1. La quête

Bien sûr, rien ne remplace les compositions originales inspirées des thèmes et situations des films, par le glorieux duo Anderson & Roe (qui n'ont, pour des raisons de droits, jamais pu publier la partition ni enregistrer les pièces – même pas sûr qu'ils aient pu les rejouer en public).

Du fait de son caractère très wagnérisant (façon Rheingold, avec des motifs-clefs simples qui mutent et innervent toute l'œuvre), la musique de Star Wars se prête particulièrement bien à la réexploitation. La tradition est de jouer des suites orchestrales tirées des films, juxtapositions assez plates de la littéralité des accompagnements, qui sans l'image et surtout sans les musiques de transition, ne peuvent absolument fonctionner – comme lorsque Leinsdorf (c'est la version gravée par Abbado, rien à voir avec la remarquable suite beaucoup plus adroitement constituée par Marius Constant, notamment enregistrée par Märkl) colle à la suite les interludes de Pelléas.

J'ai toujours regretté (et c'est sans doute aussi lié au verouillage des droits par Lucas et peut-être Williams) que des compositeurs ne s'emparent pas de ce riche matériau, très efficace, propice à la mutation, et de surcroît très populaire, pour écrire des symphonies se fondant sur les motifs d'origine mais développant une forme musicale plus traditionnelle ou cohérente, voire recréant une nouvelle trame narrative dans une sorte de poème symphonique. Ou un opéra, tiens, mais Williams n'ayant pas montré la voie, il y aurait un véritable travail de wagnéro-lyricisation probablement beaucoup plus périlleux.

Dans la notule sur les duos d'Anderson & Roe, je détaillais une partie du paradoxe qui consiste à réutiliser, chez les compositeurs savants, la partie la plus accessible et populaire d'une musique pourtant très charpentée.
La musique de ces films n'a jamais vraiment quitté le giron de la musique savante (en particulier dans la première trilogie publiée, la consistance de musique comme la nature du propos et du visuel changeant beaucoup dans la suite).

        La musique de Williams est profondément marquée par Wagner (musicalement, Star Wars est réellement un écho du Ring, de façon assez réussie), Holst (pour ses "effets spatiaux") et bien sûr Richard Strauss (pour la nature de son lyrisme et la direction de son harmonie). Et si on s'intéresse aux partitions filmiques de Korngold, on peut constater à quel point Williams améliore un matériau... qu'il a quasiment emprunté.
        Avec bien sûr le sentiment qu'il y a eu Berg et Ralph Vaughan William entre-temps, et que ce n'est pas tout à fait une musique au "premier degré", dans le sens où elle parle une langue qui est déjà utilisée depuis des temps anciens. Non pas un sentiment livresque et négatif, mais simplement le fait qu'on n'écrit pas dans le style de Strauss de la même façon dans la seconde moitié du vingtième, des bouts de Prokofiev peuvent se glisser dedans, par exemple. [A l'occasion, on pourra regarder les choses de plus près.]

        Une fois cette musique composée, elle s'est retrouvée dans le domaine populaire, admirée pour sa puissance mélodique et optimiste - et il est exact que les thèmes sont très prégnants, et assez considérablement moteurs dans la dramaturgie générale des films.
        Les parties des batailles, fondées sur des partitions beaucoup plus longues, beaucoup plus sophistiquées, avec beaucoup plus d'audaces harmoniques et de diversité rythmique, ont bien naturellement moins frappé l'imaginaire, alors qu'il s'agit réellement de la part la plus considérable du travail, aussi bien en volume qu'en complexité.
Les thèmes retenus par la culture populaire s'attrapent sans même y songer, se fredonnent aisément, et marquent assez profondément par leur caractère suggestif.

Et pourtant, en bout de chaîne, ce sont ces motifs simples qui reviennent dans le domaine "savant".

Une fois accepté le manque d'offre, à part Anderson & Roe, il reste tout de même de quoi s'amuser avec des pots-pourris pas trop mal faits. Et c'est du côté du piano qu'on trouvera le plus de satisfactions.



2. Large anthologie pour deux pianos

star wars lühn duo

        Le plus complet dont on dispose est l'arrangement pour deux pianos d'Enguerrand-Friedrich Lühl-Dolgorukiy, pour le duo Lühl-Andrianaivoravelona. Le disque chez Polymnie, essentiellement une transcription (assez littérale) des moments forts des six épisodes, n'expose pas le plus beau jeu pianistique du monde, mais a le mérite d'excéder le petit nombre de thèmes usuellement réexploités, et d'inclure, plus rare encore, ceux de la prélogie.
        Il ne faut pas y chercher de continuité, de raffinements ou de ponts superflus, mais c'est intéressant.



3. Ultimate dressed medley

Le sommet pour tous les amateurs sensibles à un peu plus que la musique sera sans nul doute cette vidéo assez ébouriffante de Sonya Belousova, très bonne pianiste spécialiste des arrangements de thèmes geeks dans des vidéos soignées.

► Ce n'est pas forcément le meilleur pianisme de la concurrence (manque peut-être d'un brin de legato dans les épanchements), mais les transcriptions sont parmi les plus réussies en termes d'équilibre sur un piano, et de fait, les accords brisés et les grands intervalles exploités évoquent la tradition lisztienne de la transcription. Le caractère très pianistique du résultat et des types de traits aussi.

► La vidéo ne fait qu'enchaîner les grands thèmes, mais avec des transitions très simples et naturelles. Tout y passe. De façon plus cohérente du point de vue de leur importance dans l'œuvre que le choix un peu dépareillé de la Suite d'orchestre.



► Surtout, pour les fanboys, on remarquera les costumes impressionnants (piano inclus !) et les clins d'œil à la franchise :
♦ d'abord le thème principal (le thème de l'héroïsme de Luke, parent à la fois des thèmes d'héroïsme et de la Force) qui ouvre les films et la Suite d'orchestre. Belousova est habillée avec une chemise bouffante, façon Han Solo sur un piano en Millenium Falcon où se voient les traces d'usure (référence au qualificatif trompeur de junk lors de sa première apparition) ;
♦ ensuite le thème trépidant du duel of the fates (« duel des destins » ?), qui apparaît notamment lors de la poursuite du I (contre Darth Maul) et du grand affrontement Anakin / Obi-Wan à la fin du III. Ici, Belousova arbore les gants noirs de Lord Vader, sur fond de néons rouges comme autant de lightsabers menaçants (ce n'est pas la première fois que je remarque qu'il pourrait y avoir quelque chose entre vous !), ou évoquant les rais du système d'alimentation du vaisseau amiral (fin du V et fin du VI) ;
♦ le thème de Leïa, qui fait dialoguer les amoureux par montages successifs : costume de Solo, puis costume et chignon spiralé façon Vertigo pour Leïa (sur un piano blanc évoquant les teintes du premier vaisseau rebelle ou de la Cité des Nuages), et lors de la reprise avec petits contrechants plus inquiétants, costume du Luke d'après la révélation et la mutilation par son père (avec un seul gant noir et des néons verts) ;
♦ la marche impériale – on notera la petite touche du pendentif Death Star, et la petite ceinture élégante sur taille serrée, qui évoque davantage Anakin que le massif Vader ;
♦ enfin, comme pour le final de la Suite, le motif de l'héroïsme au ralenti qui se change en  thème de la salle du Trône.



4. Réminiscences de Star Wars pour soliste-compositeur mégalo


Beaucoup plus souple musicalement, aussi bien dans le jeu pianistique que dans l'enchaînement rapide des épisodes, la réécriture des accompagnements, la quantité des modulations… la version de Jarrod Radnich mérite vraiment le détour.



On y croise le thème initial, la contemplation des étoiles, Leïa (très intense et lyrique, « pleine » musicalement), la marche (beaucoup plus habillée et déhanchée qu'à l'ordinaire), la Force qui est souvent la grande absente de ces exercices (et vraiment retravaillée ici, jusqu'à sa mutation, existante dans le film, en thème héroïque), et reprise paroxystique et ornée du thème de l'héroïsme de Luke et de la lutte rebelle, et ici aussi la fin de la salle du trône. Le tout dans une langue musicale très pianistique, extrêmement virtuose, et surtout sans creux ni duretés dans le spectre, une véritable adaptation / réécriture, totalement adaptée comme pièce autonome pour le piano.

Lui aussi s'est spécialisé dans ce type d'adaptation costumées, un sacré prisme de visibilité. La preuve, CSS en parle.

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Bonne balade, en attendant le bilan de novembre & planning de décembre, presque fini, mais qui ne paraîtra pas avant le 30 !


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Commentaires

1. Le dimanche 11 décembre 2016 à , par Diablotin :: site

Je n'avais jamais entendu la musique de cette saga, parce que j'e n'ai jamais vu un seul film la composant -les trois ou quatre minutes d'extraits que j'ai pu voir de ces films m'horripilent : je ne comprends rien à cet univers, mais je pense qu'il faut y entrer par le commencement...-.
Cela étant, le parallèle avec Wagner, par moment, est en effet saisissant : la marche de l'empereur fait immanquablement penser à l'entrée des géants dans Rheingold, sauf qu'au piano, c'est moins impressionnant.
J'ai quand même écouté jusqu'au bout les extraits proposés : la pianiste est très jolie ;-) mais le pianiste me semble encore meilleur : plus dynamique et percussif. Les deux sont excellents dans ce répertoire, quoi qu'il en soit !

2. Le dimanche 11 décembre 2016 à , par DavidLeMarrec

Côté parentés, le thème initial doit tout à Siegfried par exemple (l'annonce de sa naissance par Brünnhilde utilise vraiment les mêmes éléments)… et surtout, la mutation de ces motifs qui structure sans arrêt le discours au fil des films tient vraiment de l'économie wagnérienne (le tout avec des harmonies plus straussiennes, et puis carrément du Prokofiev méchant et du Bartók dans les scènes de bataille !). Pour une œuvre qui tient bien la route même sans avoir fréquenté les films, il y a les quatre duos joués par Anderson & Roe dont j'ai donné le lien ci-dessus : c'est vraiment très opérant, et accentue les parentés avec les « grands » compositeurs (on sent l'influence de Debussy dans le II, autour du motif de la Force).
Oui, le second pianiste a vraiment un meilleur toucher, plus rond, et un phrasé plus souple (une plus grande virtuosité aussi, me semblet-t-il).

Ensuite, en ce qui concerne les films, je leur trouve une cohérence et un charme très particulier, en particulier les premiers publiés (le reste enrichit l'univers) : ça peut se regarder comme un grand dessin animé pour enfants avec des petits robots et des ours en peluche, comme un film à grand spectacle très bien ficelé, comme de la fantasy du futur, comme de la comédie de répartie (le badinage y est vraiment très plaisant), voire comme un film d'auteur, avec ces murs blancs nus filmés dans un placard et ces dialogues pas toujours bien dits par de jeunes acteurs, presque du Rohmer. Ça fait pas mal d'angles d'attaque, tous assez opérants. Avec les suivants, il y a même la dimension de métaphore du destin humain et de la politique mondiale – mais c'est une démarche un peu plus consciente, un peu moins séduisante.

3. Le mercredi 14 décembre 2016 à , par Gilles

Bonjour David !
Il me semblait qu'à la liste d'emprunts que vous déroulez, on pouvait aussi ajouter Puccini... puisque l'une des phrases de l'Intermezzo de sa Manon Lescaut est très semblable au thème de la Force...
Est-ce là un oubli délibéré ?

4. Le jeudi 15 décembre 2016 à , par DavidLeMarrec

Bonsoir Gilles !

Il y avait longtemps !

C'est vrai qu'il y a ce motif assez comparable dans l'Intermezzo (plutôt le motif de Luke que le motif de la Force, en réalité), mais ce n'est qu'un motif (avec des intervalles assez banals) ; globalement, l'orchestration et l'univers harmonique de Williams sont beaucoup plus germaniques – voire anglo-saxons, on sent qu'il a beaucoup écouté Holst, Walton, Orff, le Korngold américain… et dans les batailles plus de Prokofiev et de Bartók ! J'y entends assez peu de Puccini.

Le thème de Luke, pour moi, c'est plutôt une mutation du thème de Siegfried, avec le même tournoiement qui s'achève sur un grand intervalle ascendant triomphant. Mais je suis preneur de contre-exemples pucciniens, il y a tellement de sources à la musique de Williams, il est bien possible que je sois passé à côté !

5. Le mardi 20 décembre 2016 à , par Gilles

Oui oui... Luke, pas la Force !

Je citais seulement ce motif de Puccini car il est souvent recensé parmi les inspirations de John Williams. Mais je suis d'accord avec vous : vu la plate succession des notes chez Puccini (il y a le rythme aussi mais, vu les intervalles utilisés, le rythme est lui aussi banalement naturel), on est certainement plus dans une similitude non voulue et, de fait, dans une autre forme de banalité chez Williams (sur ce motif, en tout cas).
Ceci dit, à ce rythme-là, n'importe quelle succession d'intervalles ayant déjà (statistiquement) été utilisée par un compositeur, il est difficile de ne pas coucher quelques notes sur le papier à musique sans être accusé de plagiat !!!

6. Le mercredi 21 décembre 2016 à , par DavidLeMarrec

Oui, ça m'a frappé aussi la première fois que je l'ai entendu, mais on ne voit pas trop pourquoi Williams, pas particulièrement proche de Puccini par ailleurs, aurait emprunté un pont mineur pour en faire un thème central dans son œuvre – de même que j'aime taquiner en soulignant que Pelléas débute par une citation du Veilleur des Huguenots, moment absolument pas central…
C'est amusant à écouter, mais pas signifiant, je crois.

Ce thème apparaît de façon beaucoup plus spectaculaire chez Hausegger (et là encore, il s'agit probablement d'une coïncidence de styles).

Merci pour ces perspectives supplémentaires !

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