Chef-d'oeuvre des temps modernes
Par DavidLeMarrec, mardi 29 août 2006 à :: Discourir :: #368 :: rss
Outre le mensonge désormais bien connu sur la prétendue acclamation publique, voici, pour qui ne l'aurait pas encore lu, un pur moment de bonheur, digne des plus belles entrevues de Sto.
Comment fonctionne ce discours ? Sur deux procédés très simples.
Et un prétexte à quelques réflexions plus générales.
1. La langue de coton, qui présente l'avantage sur la langue de bois (destinée à éviter de répondre tout en faisant mine de se prêter au jeu) de feindre d'affirmer quelque chose de positif, et d'être impossible à contredire. Un peu comme être opposé à la guerre, la maladie et la mort.
Pas forcément besoin que cette opposition soit fondée (si la mort n'existait pas, nous serions fort embarrassés), il suffit qu'elle semble sympathique à tous du premier coup d'oeil (la mort, même féminine, n'est guère sympathique).
Exemple du maître :
Parce qu'une administration tatillonne, des banques imbéciles tuent l'initiative et le rêve !
Nouvel Obs : Mais c'est du libéralisme !
Non, de la liberté. Nous mourrons tous si nous ne libérons pas les énergies. Et en même temps il faut rétablir l'égalité. Redonner corps et crédit à l'Etat. Je sais, pour être élu dans le Pas-de-Calais, ce que l'inégalité sociale, culturelle, médicale a de sordide.
A quel point Boulogne-sur-Mer et Paris appartiennent à deux mondes étrangers l'un à l'autre...
Les banques sont riches et méchantes ; la liberté c'est bien ; l'égalité c'est fabuleux (surtout par le haut) ; l'Etat doit être efficace et rassurant ; la pauvreté c'est triste ; le Pas-de-Calais n'est pas Paris.
Que celui qui trouve quelque chose à redire lève le doigt... imparable. [Un peu sommaire, certes.]
La chose a l'intérêt d'éviter de proposer des réformes, ou même des sujets précis de réflexion, qui divisent forcément un électorat dont on s'émerveille chaque jour devant la capacité à se diviser en deux tranches sensiblement égales quantitativement.
2. L'autre procédé est plus rare, surtout dans une culture fortement empreinte de judéo-christianisme, où le dolorisme et la haine de soi sont, à défaut d'être indispensables pour vivre, nécessaires à montrer. On pourrait parler de forfanterie paroxystique, mais ce n'est pas la seule composante de cette stratégie.
On trouve aussi une certaine conviction que le mot crée la chose. [Et là, nous nageons dans l'illusion biblique.]
Exemple du maître :
Parce qu'il faut être à la fois révolutionnaire et homme d'Etat. Etre en même temps expérimenté et capable de renverser la table. J'ai démontré dans l'action que je savais déplacer les montagnes.
Inutile de démontrer la vantardise, elle est patente. Ce qui est plus amusant est, simultanément, cette tentative de substituer les mots aux choses qui ne sont pas encore, et de considérer cette substitution comme un fait. Jack Lang n'a jamais été efficace dans aucune de ses missions, mais toujours consensuel, et c'est bien ce qui a pu le rendre si populaire. Mais paradoxalement, et nous entrons dans les jeux de représentation médiatique, pour être consensuel, il faut affirmer qu'on est subversif, qu'on est réformateur, voire révolutionnaire. D'une part ne jamais proposer de réforme pour ne pas déplaire, d'autre part affirmer qu'on est farouchement pour le changement.
Cela peut inspirer quelques réflexions qui excèdent le commentaire de la médiocrité du texte cité (commentaire qui ne mènerait pas bien loin).
Tout d'abord, on se rend compte qu'au fond, le XXe siècle, contrairement à ses prétentions, ne s'est jamais départi de l'idéologie du Progrès du siècle précédent.
Certes, on ne croit plus à la courbe ascendante infinie des hegeliens, ni à l'action mécanique sur les moeurs de l'accroissement du confort technique. Mais toute la subversion qui est le mot d'ordre esthétique, jusqu'à l'absurde, du vingtième siècle, se fonde sur l'idée que seule la nouveauté est légitime, que seule l'innovation peut être géniale.
La Révolution demeure donc, même si, après le vingtième siècle, on n'y peut plus croire, une référence positive et permanente. Pas nécessairement dans son sens communiste (et Jack Lang l'emploie ici de façon bien ambiguë), mais au minimum dans son sens progressiste.
Ensuite, on note à quel point la présence centrale des médias comme distribution de l'information, de la moralité, de l'existence même a des effets sur la façon de percevoir le monde et d'agir sur lui. Le fait même de prononcer une affirmation (voire une question) transmise par un média crée cette réalité.__ C’est la chose la plus logique du monde : un média sert, comme l’indique son nom, à servir d’interface entre un fait et la connaissance de ce fait. Rien ne prouve l’existence de ce fait, sinon la confiance dans le média. Qu’est-ce qui me prouve l’existence de Mulhouse, sinon les affirmations de sources concordantes que j’estime dignes de foi ?
De cette façon, lorsqu’un média énonce un fait, ce fait devient réel, qu’il ait eu lieu ou pas. C’est ce qu’a parfaitement compris (mais très mal maîtrisé) Jack Lang : dans la société de l’information, le mot – s’il est véhiculé par un média légitimé – crée la chose, même si elle n’existe pas.
Voilà ce que je souhaitais, à travers ce prétexte, aborder ici. Confirmer la vacuité permanente, la démagogie réflexe et la forfanterie ridicule de Jack Lang n’est pas nécessaire, il est à peu près sans rival sur la scène politique. Mais sa capacité à se fondre dans l’air du temps donne l’occasion de quelques méditations sur les représentations de notre temps.
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