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L'opéra, manifestation ultime de l'art ?

En réponse à une question posée en d'autres lieux bien famés.


Tout dépend de la façon de considérer la chose.

Sur le plan de l'aboutissement musical, la contrainte du texte sera bel et bien un handicap (constitué par le respect de la prosodie et de la logique dramaturgique). Ecouter un opéra sans livret est tout de bon un sacerdoce, parce que la musique est sujette à des utilités que nous ne comprenons pas, imite une prosodie dont nous ne connaissons pas la raison interne.

En revanche, on peut considérer que l'interaction entre plusieurs arts accroît l'émotion (la musique se charge d'affects, le théâtre prend une dimension plus physique).

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Pour les lutins - et ce n'est pas pour le plaisir de se montrer contrariant - la forme ultime, ce serait plutôt le lied. Et pour le coup, on peut en écouter sans texte (même si on perdra inévitablement les trois quarts du plaisir), en musique pure.

Un genre mixte comme l'est la musique vocale a des avantages précis, et notamment l'intérêt soutenu que réclame une musique appuyée sur un texte (impossible de perdre le fil), ou bien le caractère de l'écoute d'un texte en action, ou animé par une atmosphère musicale - moins étouffant que la lecture silencieuse et solitaire.

(Par ailleurs, l'opéra est, pour les amateurs de ce genre de friandise, une occasion unique de profiter de théâtre en langue exotique sous-titré.)

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Mais il existe un problème, et qui par sa fréquence empêche absolument de placer l'opéra au sommet de la hiérarchie des genres (sinon par inclination personnelle pour tel ou tel critère, comme dans notre cas) : les arts n'y sont pas nécessairement présents au même niveau d'excellence, ce qui peut considérablement abîmer l'ensemble. La qualité littéraire ou l'urgence dramatique dans l'opéra seria, par exemple, laissent généralement (et sérieusement) à désirer.

Ceux qui se hissent sur les sommets en associant qualité littéraire du livret et écriture musicale hors du commun - et qui de surcroît rendent leur interaction signifiante - peuvent peut-être prétendre à quelque chose de particulier, mais ils ne sont pas si nombreux.
On peut citer quelques-uns des abonnés aux pages laudatives de CSS :


On se sera retenu de citer Zampa d'Hérold pour ne pas trop discréditer l'entreprise, mais on pourrait ajouter Lady Macbeth de Mtsensk de Chostakovitch, pas nécessairement un chef-d'oeuvre littéraire, mais dont la force musicale ne se trouve guère entravée par son livret.

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Ensuite, on pourrait scruter les chefs-d'oeuvre musicaux sur livret misérable (Wagner ?) ou les aberrations musicales sur de très bons livrets (plus difficiles à identifier, puisque ces opéras-là sont en général passés à la trappe depuis... toujours).

Quant à ceux qui prétendent que l'opéra n'est que de la musique avec de jolis phonèmes dessus, ils n'ont qu'à aller se faire cuire un oeuf.
En attendant la première mise en musique de l'intégrale des oeuvres poétiques de Kroutchonykh.
Pof.


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Bref, en un mot, point de hiérarchie intrinsèque d'un genre sur un autre : tout dépend si à l'opéra ces arts se nourrissent (c'est le cas chez Wagner par exemple, dont la musique prend sens au contact du texte et élève un livret médiocre au rang de référence mythique pour tout le théâtre occidental), ou s'il y a limitation (le livret pouvant miner une oeuvre forte musicalement, ou limiter le cheminement créateur du compositeur inspiré).


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Commentaires

1. Le mardi 28 octobre 2008 à , par licida :: site

Tiens un peu de correspondance des arts: quelqu'un sait si Souriau intègre l'opéra dans son schéma? (faudra que je me décide à lire le bouquin, un jour)

C'est etrange (mais je n'en attendais pas moins de toi ;-) ) de dire qu'on peut écouter des lieds sans connaitre le texte mais pas l'opéra: en ce qui me concerne c'est exactement l'inverse. Je découvre souvent des opéras sans connaitre le drame ni les paroles et me laisse guider par la musique, ensuite je me renseigne sur le texte pour infirmer ou confirmer et en tout cas compléter mon ressenti musical.
Tandis que la courte durée et l'accompagnement souvent réduit du lied me laissent moins de possibilités de rentrer dans l'oeuvre sans connaitre le texte (NdA: d'ailleurs dans le lied il n'y a pas d'ouverture pour vous mettre dans le bain). Pourtant c'est surtout l'intimité du lied qui me fait exiger d'en connaitre préalablement le texte: comme il n'y a que deux voix (le chanteur et le piano) j'ai besoin de les entendre pleinement toutes les deux. Alors qu'à l'opéra ou dans les airs de concert, y a tellement de monde, que je me soucie d'abord d'harmonie musicale. C'est aussi pour cette raison que je n'écoute de récitatifs seria qu'avec le texte, alors que les airs s'en passent souvent à la première écoute (quelle que soit leur qualité littéraire).

Sinon je serai aussi incliné à citer quelques superbes livrets de seria tout de même: L'Olimpiade (héhé), Agrippina ou Mitridate me semblent clairement être de ceux qui ne gênent pas la musique ;-)

2. Le mardi 28 octobre 2008 à , par DavidLeMarrec :: site

Pour le lied sans texte, l'explication est simple : très souvent, le lied se fonde sur une continuité mélodique qui peut en faire de la musique pure (comme un air à l'opéra, si on veut). Sur la longueur, même pour du seria, lorsque tu as une alternance arbitraire récitatif / air, sans support, c'est plus difficile.
Après, évidemment, ce n'est pas ce que je recommande !


C'est aussi pour cette raison que je n'écoute de récitatifs seria qu'avec le texte, alors que les airs s'en passent souvent à la première écoute (quelle que soit leur qualité littéraire).

Effectivement, ces airs sont très musicaux (et le texte très bref et facile à comprendre), donc ça ne pose pas de problème majeur. C'est leur juxtaposition qui est problématique, sans le texte.


Sinon je serai aussi incliné à citer quelques superbes livrets de seria tout de même: L'Olimpiade (héhé), Agrippina ou Mitridate me semblent clairement être de ceux qui ne gênent pas la musique ;-)

Tout à fait. Superbes, ensuite, ce ne serait peut-être pas ce qui me serait venu à l'esprit, mais pourquoi pas. (Je préfère le patchwork Rinaldo, la galerie psychologique d'Ariodante ou le beau sujet d'Attilio Regolo.)

3. Le mardi 28 octobre 2008 à , par licida :: site

Pour Rinaldo je me suis posé la question dans la mesure où c'est avant tout le feux d'artifices handeliens qui fait le charme de l'oeuvre pour moi. Ariodante fonctionne très bien mais c'est un peu trop "ordonné" ça manque de surprises (cela dit le texte présente des affects très variés féconds pour l'inspiration musicale, c'est vrai), alors qu'Agrippina pourrait presque fonctionner sans la musique (avec des adaptations formelles evidemment).

Pour Attilio Regolo, je n'ai pas vraiment apprécié la musique (ou l'interprétation, j'ai toujours du mal à distinguer les deux lors d'une découverte), donc je ne me suis pas penché sur le livret. Je passe mon tour :o)

4. Le mardi 28 octobre 2008 à , par DavidLeMarrec :: site

Disons que je ne suis pas très sensible à l'humour d'Agrippina.

Pour Regolo, je parlais uniquement du livret. :) ... qui a été partiellement utilisé par Schubert. (Un moment pas fantastique, d'ailleurs, mais la logique d'ensemble me plaît.)

5. Le mardi 28 octobre 2008 à , par Papageno :: site

L'Opéra est sans doute la tentative la plus aboutie dans la culture occidentale de mettre tous les arts à contribution (théâtre, musique, danse, arts plastiques) pour concevoir un spectacle total.

Pendant plusieurs siècles c'était aussi une forme de divertissement populaire, rôle qu'il a totalement perdu au profit des méga-concerts rock pop, qui au demeurant ne sont pas si éloignés de l'art total car ils font intervenir chant, musique, danse, mise en scène, mais la dimension théâtrale a disparu.

D'un autre côté on pourrait considérer les super-productions hollywoodiennes comme les opéras wagnériens de notre temps, même si la musique y a perdu sa pré-éminence au profit de l'image, véritable révolution copernicienne.

6. Le mercredi 29 octobre 2008 à , par DavidLeMarrec :: site

Bonjour Patrick,

Oui, la plus aboutie, peut-être, mais les arts n'y ont pas tous été au même niveau d'excellence, ce qui peut en faire aussi une forme inférieurement réussie par rapport à la musique pure ou au théâtre sans mélange.
[Cela dit, le théâtre sans musique est tout de même une bizarrerie occidentale, une exception très récente (quasiment du vingtième siècle...).]

Il ne faut pas exagérer la part du divertissement populaire, tout le monde ne s'y rendait pas non plus ; mais c'était incontestablement un lieu (de rencontre) où les classes sociales se retrouvaient, non pas mélangées, mais ensemble.

Pour les concerts de rock et pop, ma foi, ils ont aussi fait du théâtre, mais toujours explicitement en s'inspirant de l'opéra. Je vois tout de même des différences majeures, notamment dans le mélange sans distinction des catégories sociales. Mais c'est une façon plus 'interactive' / 'participative' de concevoir les choses.

J'abonde tout à fait pour les blockbusters américains. Ca fait très longtemps que je voudrais faire un point sur le sujet, mais on retrouve des choses très similaires : canevas extrêmement codé, mélange des arts, passages obligés, variations sur des faits historiques qui ne sont en réalité que le prétexte à développer la même série prédéfinie de moments attendus, de "numéros", etc.
C'est sans doute ce qui m'intéresse le plus dans la production cinématographique contemporaine, cette renaissance d'un genre extrêmement codifié qui peut en effet être comparé à l'opéra rossinien ou meyerbeerien. D'autant qu'à défaut d'être profond (ou passionnant au bout d'un quart d'heure...) la finition artisanale en est en général très soignée.

7. Le jeudi 30 octobre 2008 à , par Vartan

Mais de qui se moque-t-on ??? `8-(
Le lied forme la plus aboutie ? Et le madrigal alors ? Ce n'est pas parce qu'il ouvre le bal qu'on peut aussi facilement le ranger avec les vieux chapeaux au fond de l'armoire. Non mais !
Et l'Orfeo ? C'est du petit bois dont on brûle La Fenice ?
Non, vraiment, ces pages ne sont plus ce qu'elles furent.

8. Le jeudi 30 octobre 2008 à , par DavidLeMarrec :: site

Le problème du madrigal, ce sont les poèmes faiblards en patois péninsulaire, servis de surcroît par une expression tiédasse. Mais à part ça, j'aime beaucoup. Particulièrement D'India, Marenzio et... Gesualdo. ;)

Mais l'Orfeo, ça ne me dit rien. Tu veux parler de Peri et de son Euridice ?

9. Le jeudi 30 octobre 2008 à , par Vartan

Aiuto ! Fuggiamo !

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