Carnets sur sol

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mercredi 2 juin 2010

Intégrale des Sonates de Schumann et demi-intégrale Hindemith par Franck Peter Zimmermann


Superbe concert de Franck Peter Zimmermann et Enrico Pace au Théâtre de la Ville. Le programme était déjà exceptionnel : les trois Sonates pour violon et piano de Robert Schumann (Op.105, Op.121, et Op. posth. WoO 27), et les deux dernières des quatres Sonates de Paul Hindemith (mi majeur de 1935 et ut majeur de 1939).

Franck Peter Zimmermann y met de côté tous les attributs du concertiste (volume sonore, vibrato large, phrasés virtuoses) pour se muer en parfait chambriste, humble, tranchant et juste. Son timbre incisif se dépouille de toute ostension et dans la beauté plastique, et dans la légère acidité conservée.

Il étonne particulièrement dans la Deuxième Sonate dont il exalte toutes les ruptures et bizarreries (il y en a encore plus que dans la merveilleuse Troisième, qui en comprend aussi, et où il les avait moins soulignées). Le troisième mouvement se transforme ainsi, depuis les pizz de guitare désaccordée mangés par le piano jusqu'aux phrasés sans vibrato, avec mainte maladresse délibérée, en parodie de sérénade italienne, et le tout sans altérer en rien la cohérence structurelle - déjà préparée par un premier mouvement énigmatique et un scherzo rieur.

Comme on pouvait s'y attendre, même la belle Sonate en ut, tout en miniatures, souffre de la comparaison avec le corpus schumannien, à la fois évident et tellement traversé de ruptures bizarres et de fulgurances admirables... dans un esprit très proche du Concerto pour violon, en réalité. Et contrairement à beaucoup d'interprètes, les deux compères n'esquivent pas ces singularités, et les exaltent au contraire avec beaucoup d'esprit et de goût.

Suite de la notule.

Les 24 Violons du Roy de Patrick Cohën-Akenine au TCE - Le pari perdu de l'authenticité ?


Les 24 Violons du Roy en concert au Théâtre des Champs-Elysées, mercredi 26 mai 2010.

Patrick Cohën-Akenine, immense violoniste devant l'Eternel, est depuis longtemps chef d'ensemble, et à la Tête des Folies Françoises, il a quelque temps fait merveille, comme par exemple dans ce récital baroque français de Patricia Petibon.

Or, il s'est mis en tête de réaliser une courageuse résurrection des 24 Violons du Roy, l'ensemble qui jouait pour Louis XIV, en utilisant des recréations des instruments manquants de la famille du violon qui étaient alors utilisés.

On en a déjà parlé par trois fois sur CSS :


Entre le dessus de violon toujours pratiqué et la basse de violon parfois réemployée dans les ensembles baroques, on a ainsi réintroduit la haute-contre de violon (assez comparable à l'alto), la taille et la quinte de violon. Cela produit visuellement un dégradé assez pittoresque, avec de gros violons qui pendent à de petits cous, touche en bas, comme ceci : (oui, leur enthousiasme semble limité).

Patrick Cohën-Akenine dispose ainsi d'un ensemble constitué de la façon suivante :

  • violons : 4 dessus, 2 hautes-contre, 2 tailles, 2 quintes, 2 basses ;
    • bien qu'appartenant à la famille des violons (contrairement à la contrebasse qui appartient à la famille de la viole, d'où leur son plaintif), les basses de violon disposent de frettes - c'est-à-dire de ces barres, comme sur les guitares, qui bloquent la corde à hauteur fixe en créant des "cases", de façon à assurer la justesse ; d'autant plus étrange que si les violes de gambe en disposent, les violoncelles baroques n'en disposent pas et les contrebasses n'en disposent plus (mais il faut là interroger les facteurs d'antan et non pas les malheureux instrumentistes exhumant...) ;
  • bois : 2 flûtes, 2 hautbois (le premier hautbois tenant les parties de flûte basse dans les trios), 1 basson français (au son si nasillard qu'il rappelle ici le cromorne !) ;
  • continuo : viole de gambe, violoncelle, clavecin, archiluth.


Cela se justifie très bien sur le papier. Lully était violoniste, il écrivait des dispositions qui n'étaient pas pensées pour le clavier comme le fera Rameau ou comme le faisaient déjà les Italiens (c'est-à-dire avec une basse isolée et les autres parties isolées dans l'aigu). Il utilisait une répartition beaucoup plus équilibrée au niveau des médiums, qui donne un certain fondu - et rend d'autant moins confortables à exécuter, quelquefois, les réductions pour piano du début du vingtième siècle (elles sont en réalité redéployées pour être 'claviérisables', y compris quand les parties intermédiaires originales subsistent).
Et cela se faisait avec l'instrumentarium restitué par le projet de Patrick Cohën-Akenine. Le but avoué était de retrouver la diversité des instruments, donc des couleurs originales, de la musique de Lully.

L'ensemble a beaucoup progressé depuis ses débuts, et déjà en 2009, il jouait tout à fait juste. Il est capable désormais de jouer certaines sections avec un beau tranchant. On a même pu observer, au cours de ce concert, quelques partis pris interprétatifs sensibles, même si l'on demeure très loin de ce qui pouvait être réalisé avec les Folies Françoises.
Néanmoins, le résultat immédiat de cette restitution est au contraire une plus grande homogénéité des timbres et une certaine mollesse d'articulation.

Et ce n'est pas si paradoxal : au lieu d'instruments divers, on décline les intermédiaires d'une même famille. Voilà pour l'homogénéité. Et pour l'articulation ? Il suffit d'observer la dimension des tailles et quintes de violon : les instruments sont retenus par des lanières discrètes, mais comme vu leur masse il ne doit pas être possible de les bloquer avec le cou, ils reposent en partie sur la main. Aussi, l'agilité en paraît fortement diminuée - n'imaginez même pas du vibrato, et encore moins un démanché, tout s'effondrerait ! Par ailleurs, pour qui a déjà joué un violon et un alto, la différence d'exigence physique en étant déjà assez considérable, on imagine la force nécessaire pour maintenir efficacement une corde de quinte de violon.

Bref, au final, on gagne en fondu, mais on perd une part déterminante de ce que le mouvement baroqueux a apporté : clarté et autonomie des strates, individualisation des timbres, incisivité des attaques, palette expressive nouvelle. Le projet est généreux, mais il me semble qu'il se heurte aux difficultés structurelles qui ont fait que l'on a abandonné ce type d'orchestre au profit de la disposition italienne : c'est intrinsèquement un ensemble moins virtuose et moins brillant.

--

Et le concert ?

Suite de la notule.

David Le Marrec

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