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Schumann, Brahms et Zemlinsky à Pleyel - Du Scherzo aux Parques


C'est sous ce titre que j'introduis le dernier compte-rendu (et premier de la saison) de Sylvie Eusèbe :


Un petit bonjour pour débuter cette nouvelle saison notamment parisienne, en vous remerciant d'avoir mentionné un certain récital le 18 juin prochain...

Paris, Salle Pleyel, vendredi 10 septembre 2010, 20h, concert
R. Schumann :
Ouverture, scherzo et finale, op. 52
J. Brahms :
Rhapsodie pour contralto, chœur d’hommes et orchestre, op. 53
Le Chant des Parques, op. 89
A. von Zemlinsky :
Sinfonietta, op. 23

Orchestre Philharmonique de Radio France
Chœur de Radio France
Nathalie Stutzmann, contralto
Matthias Brauer, chef de chœur
François-Xavier Roth, direction


Journée extrêmement contrastée que ce vendredi 10 septembre 2010, où je me suis assise, tranquillisée, à vingt heures moins sept minutes à quelques mètres de la scène, en plein milieu de l’orchestre.
Quatre heures plutôt, j’assistais à un colloque à l’ombre de la Chartreuse de Villeneuve-Lès-Avignon. Léger mistral et doux soleil d’été, sous la protection du Fort Saint-André, muraille impressionnante couronnant un rocher gris clair. Vestige d’un monde disparu bien difficile à imaginer lorsque je l’apercevais à travers une fenêtre de la salle de conférence. Pourtant, on nous parlait de photogrammétrie à l’usage des archéologues et des architectes, mais les techniques d’avenir l’emportaient sur l’histoire de celles du passé, et au lieu de dissiper les nuages d’oublis recouvrant la vie des constructions anciennes, on raisonnait en nuages de points et maillages surfaciques… Grand écart un peu violent donc, entre la lumineuse moyenâgeuse Chartreuse et la récente sombre salle Pleyel, entre la technicité (à tout prix au service de la science) et la musique hors du temps et de l’espace.

Je n’ai pas gardé de souvenir de l’œuvre de Schumann, probablement parce que j’étais déjà projetée dans la Rhapsodie de Brahms. Sculpturale, dans une robe longue bleu nuit, la contralto a réuni la calme majesté d’une korê et la force décidée de l’art des années 30, tantôt pythie aux oracles effrayants (« Menschenhaß »), tantôt mère consolatrice (la dernière strophe)… Il y eut tellement d’images visuelles et sonores en ces quelques instants !
L’an passé, j’avais écouté les Sieben frühe Lieder d’Alban Berg sous la direction de F.-X. Roth, et il avait donné trop de présence à son orchestre Les Siècles, la chanteuse était pourtant Barbara Bonney, saisissante d’intensité immédiate. Vendredi soir, l’orchestre et le chœur épousaient avec souplesse le chant, dont la ligne a cheminé avec une simplicité déconcertante, comme toujours chez Nathalie Stutzmann. Concentration, retenue, émotions vraies. Graves évidemment profonds, quels délices, vibrato point trop marqué, tant mieux, voyelles tenues hypnotiques aux sonorités uniques. Vers la fin, la chanteuse a légèrement souri entre deux phrases en suivant le rythme des cordes : peut-être pensait-t-elle avec un certain contentement qu’elle dirigera un jour cette œuvre, et je me suis interrogée, avec un peu de tristesse, sur la contralto qui lui succèdera.

J’ai remarqué avec grand plaisir que la traduction fournie par le programme était limpide, alors que j’ai souvent constaté que la traduction française rendait le texte de la Rhapsodie si obscur que sa poésie et son enseignement ne pouvaient pleinement toucher, alors qu’on en devinait la profondeur. Voici à titre d’exemple, la strophe centrale dans deux traductions :

0- Le texte de Goethe.
1- Livret du CD SDG 703, Gardiner/Stutzmann, novembre 2007, salle Pleyel.
2- Programme du concert du 10 septembre 2010.

0- Ach, wer heilet die Schmerzen
1- Ah ! qui guérira les douleurs
2- Hélas, qui guérira la souffrance

0- Dess, dem Balsam zu Gift ward
1- De celui pour qui le baume est devenu poison ?
2- De celui dont le baume a tourné en poison ?

0- Der sich Menschenhaß
1- Qui de la plénitude de l’amour
2- De celui qui a bu la haine des hommes

0- Aus der Fülle der Liebe trank!
1- A retiré la haine de l’humain !
2- À la coupe pleine d’amour !

0- Erst verachtet, nun ein Verächter,
1- D’abord méprisé, désormais méprisant,
2- D’abord méprisé, désormais méprisant,

0- Zehrt er heimlich auf
1- Il consume en secret
2- Il se nourrit en secret

0- Seinen eignen Vert
1- Sa propre valeur
2- De sa propre valeur

0- In ungenügender Selbstsucht.
1- En un vain égoïsme.
2- Dans une quête désespérée de lui-même.

Pourquoi certaines traductions françaises un peu anciennes inversent très systématiquement des corps de phrases rendant ainsi la compréhension du sens plus difficile et la relation avec l’écriture musicale confuse, alors même que la langue d’origine (et notamment l’allemand) ne présente pas cette construction ? Heureusement, les traductions récentes m’apparaissent plus fidèles, pour autant que je puisse en juger bien sûr, comme par exemple dans la parution récente de l’« Anthologie du Lied » d’Hélène Cao et Hélène Boisson, qui rassemble quelques centaines de textes de Lieder, traduit en un français, certes littéraire, mais surtout littéral et non pas sibyllin !

Mes voisins ont déploré à voix haute la brièveté de la Rhapsodie, j’ai fait de même in petto malgré la multitude d’impressions dont elle m’a traversée, et l’idée que finalement, cette œuvre tient beaucoup plus de la berceuse que de la rhapsodie inspirée librement de thèmes folkloriques. Le public a réservé des applaudissements chaleureux à la chanteuse. Le chef lui a serré les mains sans effusion particulière, elle-même a salué les deux premières violonistes et le chœur alors que tous les musiciens l’applaudissaient.

Pendant l’entre-acte, voici Inger Södergren qui s’est glissée rapidement vers les coulisses, et voilà ce monsieur parfumé à grosses lunettes rondes qui en est revenu : « Elle est très occupée, elle a juste eu le temps de m’embrasser, elle a une interview ».

En seconde partie, ne connaissant pas le Chant des Parques, je me réjouissais de cette découverte. Hélas, je n’ai pas compris ce qui se passait : chœurs tonitruants et sans nuance, couvrant même l’orchestre, au point que j’en avais mal aux oreilles. En revanche, la Sinfonietta de Zemlinsky, inconnue de moi également car je ne suis pas férue d’un répertoire si récent, m’a beaucoup plu. J’ai pu apprécier les sonorités des instruments (violoncelles, hautbois), l’engagement des premières violonistes, ainsi que la précision de l’ensemble, marqueterie sonore ajustée avec goût et précision.

Comme toujours après un concert de Nathalie Stutzmann, l’atmosphère de la soirée s’attachait durablement à mon humeur, et me dirigeant, sans en avoir une conscience très nette, vers la Place des Ternes pour rejoindre le métro, voici que j’ai entendu un « Was ist das ? » au timbre familier entouré de rires sonores : la chanteuse, en blouson de cuire noir, attablée à une terrasse de café par cette douce soirée parisienne, racontait tout fort une anecdote et donnait ainsi, à quelques amis buvant ses paroles, un spectacle bien différent de celui auquel je venais d’assister. Quel contraste avec la personne réservée et un peu émue qui tout à l’heure nous a dit merci du bout des lèvres alors qu’elle venait de nous remuer l’âme… Un peu esseulée en bout de table, Inger Södergren venait d’allumer une cigarette.

Une journée décidément contrastée.

S. Eusèbe, 13-14 septembre 2010

PS : on peut voir et écouter ce concert pendant 3 mois ici.



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