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Star Wars : aller et retour


(Vidéos suivent.)

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1. Savant-populaire-savant : ce qu'il en reste

La musique de ces films n'a jamais vraiment quitté le giron de la musique savante (en particulier dans la première trilogie publiée, la consistance de musique comme la nature du propos et du visuel changeant beaucoup dans la suite).

La musique de Williams est profondément marquée par Wagner (musicalement, Star Wars est réellement un écho du Ring, de façon assez réussie), Holst (pour ses "effets spatiaux") et bien sûr Richard Strauss (pour la nature de son lyrisme et la direction de son harmonie). Et si on s'intéresse aux partitions filmiques de Korngold, on peut constater à quel point Williams améliore un matériau... qu'il a quasiment emprunté.
Avec bien sûr le sentiment qu'il y a eu Berg et Ralph Vaughan William entre-temps, et que ce n'est pas tout à fait une musique au "premier degré", dans le sens où elle parle une langue qui est déjà utilisée depuis des temps anciens. Non pas un sentiment livresque et négatif, mais simplement le fait qu'on n'écrit pas dans le style de Strauss de la même façon dans la seconde moitié du vingtième, des bouts de Prokofiev peuvent se glisser dedans, par exemple. [A l'occasion, on pourra regarder les choses de plus près.]

Une fois cette musique composée, elle s'est retrouvée dans le domaine populaire, admirée pour sa puissance mélodique et optimiste - et il est exact que les thèmes sont très prégnants, et assez considérablement moteurs dans la dramaturgie générale des films.
Les parties des batailles, fondées sur des partitions beaucoup plus longues, beaucoup plus sophistiquées, avec beaucoup plus d'audaces harmoniques et de diversité rythmique, ont bien naturellement moins frappé l'imaginaire, alors qu'il s'agit réellement de la part la plus considérable du travail, aussi bien en volume qu'en complexité.
Les thèmes retenus par la culture populaire s'attrapent sans même y songer, se fredonnent aisément, et marquent assez profondément par leur caractère suggestif.

Et pourtant, en bout de chaîne, ce sont ces motifs simples qui reviennent dans le domaine "savant".

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2. Anderson & Roe

Ce duo de pianistes s'est fait une spécialité des arrangements virtuoses d'oeuvres célèbres, mais avec la particularité que ces pots-pourris sont recomposés. Soit simplement en opérant une adaptation des effets pour pouvoir créer la même sidération au piano qu'avec orchestre... soit, comme ici, tout de même en réécrivant l'harmonie et les développements à partir de motifs impressions.

Cette dernière démarche, la plus originale, est le principe des Impressions de Star Wars sur lesquelles ont voudrait attirer l'attention.

Bien sûr, ils interprètent aussi les standards du répertoire des transcriptions pour deux pianos, et leur premier (double-)disque y est largement consacré.

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3. Star Wars Fantasy : Four Impressions for Two Pianos

Pour le centenaire de la Juilliard School, en 2006, six célèbres anciens élèves devenus compositeurs de musique de film (parmi lesquels Marc Shaiman et Howard Shore) avaient reçu commande de pièces originales pour un concert d'hommage. John Williams, après s'être engagé, s'est retiré peu avant le concert, mais devant l'insistance des organisateurs, a autorisé (ce qui aurait été douteux dans d'autres circonstances) le duo Anderson & Roe à utiliser le matériau de Star Wars pour créer une nouvelle oeuvre, jouée ce soir-là.

Il se trouve que le résultat, pourtant issu d'une préparation tardive, et achevée le jour même du concert (!), se révèle assez stupéfiant.

Quatre mouvements, chacun avec un caractère particulier, forme une sorte de sonate traditionnelle :

1) Ragtime très complexe inspiré du Cantina Band, la musique du bouge garni d'extra-terrestes dans l'épisode IV. Des rythmes s'entrechoquent méchamment, les harmonies sont assez chargées aussi, et ils parsèment de très belles citations (la marche impériale, la Force, Yoda, des bouts de batailles - notamment la montée à la fin du thème de présentation des épisodes).
L'aspect final se partage entre la musique de bar (la danse, les mélodies faciles), le jazz un peu libre (l'aspect comme improvisé, certaines harmonies) et la musique contemporaine (complexité d'écriture et de textures).
C'est au demeurant horriblement virtuose, amateurs dilettantes s'abstenir.

2) Une évocation du thème de la Force, pas du tout littérale, reprise dans des couleurs harmoniques très françaises, modifiant la mélodie en évitant toujours l'élan final, quelque chose de très subtil et poétique.

3) La Marche des Ewoks. Après le mouvement lent, une sorte de scherzo, le mouvement le moins intéressant de l'ensemble, puisque son thème n'est ni dans la mémoire collective, ni spécialement passionnant d'un point de vue musical. On se situe plus dans la tradition d'un pianisme virtuose prokofievien qui n'a pas forcément une substance extraordinaire ici.

4) Toccata-pot-pourri. On y entend une adaptation assez chargée de la Marche Impériale, qui malgré son écriture raide de départ se fond sans sècheresse dans le piano grâce à quelques enrichissements bienvenus. Et on achève dans une jouissive reprise, très littérale, du siegfriedien thème d'ouverture des épisodes.

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4. Vidéos

On proposera seulement les deux plus originales, les deux premières, mais la dernière vaut également le détour et se trouve sur la chaîne de Greg Anderson ou sur le site qu'il tient avec sa partenaire Elizabeth Joy Roe, et qui contient notamment un carnet de Toile très sympathique.




Malgré le succès assez phénoménal remporté par leur adaptation, les partitions ne sont toujours pas disponibles, pour les raisons de droits qu'on imagine, ce qui rendra peut-être à tout jamais limité à un concert et à leur réputation une très belle partition.

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5. Résultat

Je trouve la recomposition suspendue et méditative, quasiment "debussyste" de la Force particulièrement passionnante, même indépendamment des références. On y entend aussi des thèmes plus sombres, comme l'intervention du formules évoquant dans la prélogie les tentations funestes d'Anakin Skywalker.

On voit la façon étonnante dont cette musique évolue entre les univers "savant" et "populaire", en serpentant sans arrêt entre les deux pôles :
=> musique composée pour un film de pur divertissement (inspiré de la science-fiction et en partie destiné aux enfants), donc facile d'accès et fonctionnelle ;
=> musique très riche, inspirée de grands compositeurs classiques et se révélant (les batailles en particulier) très complexe, et très aboutie sur le plan de l'orchestration ;
=> mélodies très typées et évocatrices acquises et fredonnées par tout le monde ;
=> mélodies récupérées par des musiciens classiques qui en refont une oeuvre savante originale - et divertissante.

La boucle est réellement, à mon sens, fascinante, d'autant que le travail de Williams aussi bien que celui d'Anderson & Roe combine les qualités des deux aspects : à la fois très intuitif et réellement riche.

Un grand coup de chapeau à eux et beaucoup de plaisir à nous.


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Commentaires

1. Le mercredi 15 juin 2011 à , par antoine

Bof! Les musiques de film, sauf rares exceptions, donnent une impression de vide, un peu comme la musique purement descriptive. Ils ne servent qu'à souligner une image sans laquelle elle ne sont que des tartes aux fraises sans fraises.

2. Le mercredi 15 juin 2011 à , par DavidLeMarrec

Bonjour Antoine !

Il est évident que la musique de film s'écoute mal seule (encore qu'il existe des amateurs de BOs prêts à en écouter des tombereaux sans regarder les films en question !), et qu'elle sonne souvent platement hors contexte.

C'est moins le cas pour Star Wars que pour d'autres.

Au contraire, Howard Shore a fait une "symphonie" (une suite patchwork, en fait... même pas un pot-pourri) de son Lord of the Rings, qui fonctionne bien avec les images, mais qui se révèle sans surprise extrêmement ennuyeux en musique pure. (Bon compositeur par ailleurs, son opéra The Fly était réellement digne d'intérêt, dans plusieurs styles différents.)

Et dans le cas qui m'intéresse, on a réexploité le matériau filmique pour fournir une oeuvre originale, qui fonctionne diablement bien indépendamment des références.

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