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Robert Schumann : Die Dichterliebe Op.48, un essai de discographie


Il est très difficile, au rythme actuel des parutions chez de petits labels, de tenir un compte précis des parutions dans le domaine des grands cycles de lieder - part dans le cas d'entreprises de recensement aussi rigoureuses que celle de la Schubert Society, mais elle n'a pas d'équivalent pour Schumann par exemple.

Toutefois, tenter une discographie peut être intéressant pour Dichterliebe, dans la mesure où quelques versions très peu célèbres se révèlent tout à fait extraordinaires.

Pour une introduction au lied schumannien (et à Dichterliebe), on peut lire cette notule de la série d'initiation au lied.

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1. Corpus

Aussi, je m'en tiendrai aux versions que j'ai écoutées (un début de trentaine). Il en manque donc (quelque chose entre la même quantité et le double...), que j'ai écartées faute d'envie ou que je n'ai pas encore eu l'occasion d'écouter.

Il est inutile de répéter que la discographie, plus encore que tout exercice, est intimement liée à la subjectivité de celui qui la produit - il s'agit surtout de mettre en lumière des versions moins célèbres, voire des interprètes qu'on peut suivre avec confiance dans le domaine du lied.

A cette mise en garde s'ajoute une seconde : mes goûts sont généralement assez différents des choix dits "de référence", et on s'expose d'autant plus à être surpris si on suit mes avis trop imprudemment. (D'où l'intérêt d'une description version par version, pour essayer de situer le caractère de chacune, au lieu de se reposer sur ma seule hiérarchie.)
En l'occurrence cependant, je crois que mon choix, à quelques exceptions près, sera très présentable en termes de consensus - plus que Delunsch / Le Texier / Kerdoncuff que je place au sommet pour Duparc, par exemple... Malgré les raretés proposées...


Voici la liste des versions commentées ci-dessous :

1935 - Panzéra / Cortot
1956 - Souzay / Cortot
1956 - DFD / Moore
1965 - Wunderlich / Giesen (DGG)
1965 - DFD / Demus (DGG)
1968 - Pears / Britten
1976 - DFD / Eschenbach
1984 - Fassbaender / Reimann
1985 - Hynninen / Gothóni
1985 - Bär / Parsons
1986 - Vandersteene / Kende
1988 - Esswood / McGegan
1989 - van Dam / Baldwin
1990 - Krause / Gage
1992 - Stutzmann / Collard
1993 - Hampson / Parsons
1993 - Quasthoff / Szidon
1994 - Holzmair / Cooper
1996 - Le Roux / Selig
1996 - Grönroos / Gothóni
1996 - Bluth / Keller
1997 - Bostridge / Drake
1997 - Goerne / Ashkenazy
2000 - Maltman / Johnson
2002 - Post / Dravenau
2004 - Gerhaher / Huber
2004 - Loges / Schmalcz
2004 - Bästlein / Laux
2005 - Trekel / Pohl
2006 - Egmond / Slowik
2006 - Bauer / Hielscher
2007 - Finley / Drake
2009 - Keenlyside / Martineau

Un extrait musical est fourni pour deux versions "rares" particulièrement appréciées.

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2. Résultats

Evidemment, chez les dames, vu le nombre de participantes, Brigitte Fassbaender s'impose de très loin comme la grande lecture du cycle, une des plus originales toutes catégories confondues et aussi, à mon avis, son plus grand témoignage dans le domaine du lied. Non seulement la voix est plus belle que pour ses cycles schubertiens (ou son Liederkreis Op.39), mais de surcroît elle apporte ici une ironie mordante parfaitement en accord avec les poèmes de Heine - là où beaucoup de chanteurs ne la rendent que discrètement, ou laissent texte et musique s'en charger.
Enregistrement très largement révéré, pas de surprise.

Je suis surtout surpris de retrouver les quelques liedersänger dont je recherche systématiquement la compagnie concrètement dans les sommets : il sont toujours passionnants, mais pas les plus convaincants dans tous les corpus. Or, ici, je retrouve Olaf Bär, Gérard Souzay, Jorma Hynninen et Christian Gerhaher parmi les lectures les plus impressionnantes, et l'on rencontrera également Stephan Loges, Thomas Bauer et Tom Krause, autres chanteurs de lied suivis de très près par les lutins, mais dont la discographie est moins abondante.

La surprise, c'est plutôt l'intérêt moindre de Matthias Goerne, qui pour des raisons quasiment physiologiques n'a jamais été (même plus tard en concert avec Helmut Deutsch) complètement à son niveau habituel dans ce cycle.

Et, à l'inverse, la très belle réussite de Wolfgang Holzmair, qui s'explique assez bien (voir ci-dessous).

Ce qui était prévisible, c'est que les jeunes chanteurs de lied aujourd'hui, très inspirés et plus souvent captés qu'autrefois (avant les années 80, on n'enregistrait quasiment que des vieilles gloire de l'opéra...), livrent les lectures les plus intéressantes.

Voici donc le commentaire détaillé, dans un ordre approximatif du plus exaltant au plus dubitativisant. Pardon, je ne commenterai pas toujours les pianistes, il est difficile d'aborder tous les paramètres et le rôle du chanteur (qui porte à la fois le timbre et le texte) reste à la fois premier et multiple - ce n'est pas du tout pour négliger les accompagnateurs, qui sont extrêmement importants dans la préparation et peuvent transfigurer une bonne interprétation vocale.

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3. La sélection des lutins


Stephan LOGES / Alexander SCHMALCZ (Athene Records, 2004)
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Stephan Loges est une énigme en soi : ne l'ayant jamais entendu en salle, je suis fasciné par ce halo très audible via les micros, alors que je suis persuadé que la voix n'est particulièrement puissante - ce médium grave extraordinaire ne fait probablement pas vibrer les murs. En tout cas, l'objet radiophonique ou discographique est toujours magnifique... et très charismatique.
Diseur hors pair, détaillant avec gourmandise chaque syllabe (même DFD est battu !), il se situe quelque part entre la précision voluptueuse de Souzay et l'hédonisme éloquent de Bär... avec une voix plus sombre, moins "amoureuse". Saisissant.
Le piano d'Alexander Schmalcz est agréablement timbré, mais manque d'esprit dans la vivacité et l'excès requis par les derniers lieder.

Thomas BAUER / Uta HIELSCHER (Naxos, 2006)
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Une version originale, qui partage les qualités d'éloquence de Loges : toutes les autres versions, sauf Bluth et van Egmond, mais considérablement, sont bien plus "vocales". Et pourtant, la voix de Thomas Bauer est celle d'un vrai baryton, d'une belle clarté et cependant pourvue de beaux graves (sans parler d'aigus dignes d'un ténor), admirablement souple, toujours attentive au détail du texte... Et la plasticité du piano d'Uta Hielscher est particulièrement mise à profit (et bien captée !), toujours à propos. Ce n'est pas du tout une version "particulière", ni spectaculaire, elle est simplement, dans sa modestie non feinte, l'une des plus fouillées et des plus respectueuses.
Vous pouvez retrouver Thomas Bauer au même degré d'excellence dans les volumes 19 et 22 de l'intégrale des lieder de Schubert chez Naxos.

Christian GERHAHER / Gerold HUBER (RCA, 2004)
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Je ne suis pas un admirateur inconditionnel de Gerhaher, et j'ai mis assez longtemps à apprécier ses singularités : voix un peu dure, très concentrée, assez opératique, beaucoup de non-vibrato. Mais ici, sa façon très directe de dire, sa rage perceptible sont vraiment les outils idéaux pour ce cycle... et la matière vocale se révèle particulièrement belle ce jour-là.
Le plus beau disque de Gerhaher avec sa Meunière, de mon point de vue.

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4. Autres grands chocs

Gérard SOUZAY / Alfred CORTOT (domaine public, 1956)
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Ici aussi, un des meilleurs cycles de Gérard Souzay. Pour des raisons complètement différentes de Gerhaher : la qualité de timbre constante dans ses meilleures années, la précision du phrasé et du mot, la délicatesse permanente. On ne vit pas le drame, mais on phrase le poème en touchant au sublime.
Je n'ai en revanche jamais beaucoup aimé Cortot, qui sonne ici comme à l'habitude un peu gourd, et pas seulement à cause de la prise de son, ni même du toucher "lourd" : les pointés dans Im Rhein sont amoindris, par exemple (et pas de façon tout à fait régulière à ce qu'il m'a semblé), ce qui peut donner l'impression d'une forme d'incertitude, de halo, dont je n'arrive jamais à bien sentir la logique. Cela ne nuit pas du tout au résultat cela dit, qu'on aime ou pas.
Cet enregistrement libre de droits est gratuitement disponible en ligne sur CSS.

Olaf BÄR / Geoffrey PARSONS (EMI, 1985)
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Encore une vision différente, celle, beaucoup plus premier degré, du poète ingénu et lumineux. Les transparences radieuses d'Olaf Bär n'ont pas d'équivalent dans la discographie, mais cette lecture primesautière, même sans les références folkloriques de ses Schubert, n'exclut pas du tout la qualité verbale : le lyrisme s'y conjugue avec une délicatesse infinie des mots. Plastiquement, peut-être la plus belle de toute, même si son évocation n'est pas aussi radicale que chez Gerhaher, Hynninen ou Fassbaender.
Geoffrey Parsons est particulièrement peu inspiré ici, avec une sensation de note-à-note parfois agaçante : chez Schumann, les accompagnements sont indépendants, et fondés sur des figures pianistiques récurrentes pour un même lied. Aussi, si l'on joue tout très littéralement, le prosaïsme survient vite. La chose est rare avec une écriture aussi naturellement pianistique, néanmoins c'est plus ou moins le cas ici.
Se trouve actuellement dans un magnifique coffret (6 CDs avec tous les grands cycles et même les Scènes de Faust, pour une vingtaine d'euros, et qui contient notamment tous les Schumann de Bär, parmi quelques autres merveilles...).

Brigitte FASSBAENDER / Aribert REIMANN (EMI, 1984)
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La voix de Fassbaender en grande forme, à la fois pleine, belle et grimaçante, portant de façon assez violente l'ironie de ce cycle. Un superbe témoignage, et pour cette fois la sècheresse d'Aribert Reimann sert à merveille cette dérision de tout sentimentalisme, sans la dureté qu'on peut lui trouver ailleurs. Référence communément admise.
Pour information, Schumann avait écrit le cycle pour une voix de soprano dramatique (ce qui explique les extensions aiguës bizarres au milieu d'une tessiture très médiane), ce n'est donc pas une bizarrerie, mais plutôt la lecture authentique (le disque propose en outre les lieder alternatifs célèbres).

Jorma HYNNINEN / Ralf GOTHÓNI (Ondine, 1985)
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Jorma Hynninen utilise ici, faute de pouvoir en changer, la même voix que pour son Voyage d'Hiver et sa Belle Meunière, deux disques du jour (cliquez sur les titres pour lire les recensions), et les deux meilleures (sans doute ex aequo avec deux ou trois autres) versions de ces cycles pour moi.
Pour Winterreise, avec cette voix désolée et rugueuse, c'était possible ; Müllerin était un pari insensé et incroyablement réussi, faisant une lecture encore plus à rebours que l'hiver désolé de Goerne / Schneider ou l'hystérie combattive de Kaufmann / Deutsch... mais réussir à nouveau pour Dichterliebe ?
La réussite n'est pas aussi absolue, mais reste, sur les mêmes bases, considérable : un poète clairement grisonnant, lassé, amer (combien de temps s'est-il écoulé), à la voix fripée, aux accents parfois menaçants, et un piano qui scintille pour mieux trancher - même si Gothóni n'est pas aussi incommensurable que dans les Schubert. Une lecture très différente et qui fonctionne totalement, en tout cas.

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5. Autres grandes réussites


Wolfgang HOLZMAIR / Imogen COOPER (Philips, 1994)
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Holzmair, le mal-aimé (à juste titre d'ailleurs) pour son petit volume, sa voix nasale, trop claire pour un baryton, ses maniérismes pas toujours élégants... réussit assez estimablement dans le lied (Schwanengesang pas très passionnant, mais Winterreise abouti), et à défaut d'être en capacité technique de s'adapter à son répertoire, il se trouve que Dichterliebe flatte particulièrement bien ses qualités : clarté, douceur, expression tendre d'un poète un peu maladroit se fondent très bien dans cette voix, et la présence des micros lui permet de susurrer avec beaucoup de bonheur.
Dans la même veine que la vision de Bär, une très belle version (et Cooper propose toujours du très beau son).
Pour l'anecdote, capté au château Esterháza à Eisenstadt.

Tom KRAUSE / Irwin GAGE (Finlandia, 1990)
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Krause a le mérite, dans ses cycles de lieder allemands, de donner une lecture humble et mûrie, à rapprocher de la démarche de Bauer, mais avec des moyens vocaux beaucoup plus proches de Hynninen. Sans atteindre tout à fait la singularité et la puissance d'évocation de ce dernier, la qualité sincère de ses interprétations (ses Winterreise aussi) en font des valeurs sûres si l'on ne souhaite pas épouser de parti pris trop vigoureux, sans renoncer à une profonde sympathie avec le texte et la musique.

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6. Diverses très bonnes versions



Dietrich FISCHER-DIESKAU / Gerald MOORE (Orfeo, 1956)
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Il s'agit d'une soirée prise sur le vif à Salzbourg (le seul enregistrement live de la sélection...), et le duo DFD / Moore se révèle toujours souverain dans ces cas - Moore en particulier est transfiguré. Et ici, dans toute la plénitude de sa voix, DFD livre une version très engagé, beaucoup moins commentatrice ou méditative que par la suite.
Ce n'est pas la plus profonde d'ailleurs, mais ce n'en reste pas moins un témoignage assez enthousiasmant.

Charles PANZÉRA / Alfred CORTOT (domaine public, 1935)
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Avec une voix claire et un style ancien (très articulé), un allemand pas irréprochable, mais un résultat très beau.

Ian BOSTRIDGE / Julius DRAKE (EMI, 1997)
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Bostridge avec son meilleur partenaire, sans trop d'affèteries. Une lecture finalement assez simple, étonnamment presque lisse par certains côtés, mais séduisante.

Dietrich FISCHER-DIESKAU / Christoph ESCHENBACH (DGG, 1976)
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A l'exception du Winterreise où il est souverain (et de quelques lieder isolés), j'ai remarqué que j'adhérais finalement moins à DFD qu'à d'autres dans à peu près tout le reste du répertoire de lied, malgré ses qualités de timbre et d'élocution. Je suppose que cela tient à plusieurs facteurs :
=> la date d'enregistrement, à cause du creux des années 70 et 80, avec la sècheresse et la nasalité du timbre, assez cruelle dans le lied, surtout dans les prises de son dures de DGG à cette époque ; en effet la plupart de ses enregistrements de lied datent de cette période ;
=> l'exagération de l'expression, qui sans avoir le côté redondant du "stabilo" façon Callas, est parfois un peu outrée ;
=> et sans doute pour une part (difficile à quantifier) son immense célébrité ; lorsqu'un chanteur est très célèbre, il paraît un peu moins nous appartenir, on est moins proche de lui et on attend beaucoup eu égard à sa réputation. Si un obscur chanteur produisait ce même Dichterliebe, je le considèrerais peut-être comme beauccoup plus exceptionnel.
Ici, c'est une belle lecture assurément, mais un peu "construite", qui n'a pas la simplicité et la spontanéité de beaucoup d'autres moins ambitieuses, ni la profondeur des plus réussies citées précédemment. Si l'on compare avec Loges, on voit la différence considérable entre une forme de vérité du texte (Loges) et une forme de commentaire en direct (DFD) - si bien que l'émotion n'est plus aussi présente chez le second.
Eschenbach réalise un accompagnement pas trop cassant ici, vraiment un bel élan.
Cela reste, bien évidemment, une excellente fréquentation.

Gerald FINLEY / Julius DRAKE (Hyperion, 2007)
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Une lecture très expressive, servie par la grande poésie de Julius Drake. Néanmoins la voix et l'allemand trahissent quelques coutures qui nuisent un peu à la qualité de cette lecture assez fouillée. La voix est belle, mais terriblement britannique, et un peu opératique aussi, avec des piani un peu fissurés ou des sons pas totalement "finis" qui passent très bien dans le feu d'une action sur scène, mais gênent plus dans le récital pur.
Néanmoins, une version qui mérite d'être vantée pour son engagement très convaincant (et la voix de Finley est tout de même très loin d'être vilaine).

Matthias GOERNE / Vladimir ASHKENAZY (Decca, 1997)
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Oui, il est étonnant de retrouver Matthias Goerne en plein milieu d'une liste d'excellence plutôt qu'à sa tête. Plusieurs raisons simples :
=> C'est un disque capté tôt dans sa carrière, il ferait sans doute beaucoup mieux aujourd'hui, avec une voix plus nuancée et un art de la suggestion extraordinairement affûté.
=> Goerne a toujours eu des difficultés avec ce cycle : sa voix épaisse s'accommode mal des liquidités et des délicatesses d'un lyrisme assez léger. Il est tout à fait capable de tirer parti de ces situations (son legato est d'une qualité unique dans l'histoire phonographique, en tout cas pour ce répertoire), mais étrangement, quelque chose du caractère de Dichterliebe ne semble pas totalement résonner en lui.
=> L'accompagnement rempli de duretés pas très poétiques d'Ashkenazy ne favorise pas non plus l'atmosphère rêveuse.
L'ensemble reste tout à fait remarquable ici encore (et certains lieder saisissants), cependant pour un caractère "décalé", je trouve l'aspect direct de Hynninen beaucoup plus opérant que la voix un peu empâtée de Goerne, qui correspond assez mal au profil du "personnage", sans réussir complètement l'ironie. C'est sans doute l'enregistrement où sa voix sonne le plus "cotonneuse".

Ulf BÄSTLEIN / Stefan LAUX (Haenssler, 2004)
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Une belle voix sobre et délicate, une belle lecture qui n'apporte pas de nouveautés mais qui est, concrètement, très convaincante. On pourrait le rapprocher sans peine du procher de Thomas Bauer, mais nettement moins incarné et tout de même moins admirable vocalement.
Ulf Bästlein a lui aussi contribué à plusieurs volumes de l'excellente intégrale Naxos des lieder de Schubert.

Fritz WUNDERLICH / Hubert GIESEN (DGG, 1965)
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Sans doute l'un de mes sentiments personnels les moins partagés : Fritz Wunderlich, comme d'habitude, propose une interprétation très lyrique, pas du tout indifférente au texte, mais pas énormément incarnée non plus. C'est plus que suffisant pour rendre justice au cycle, mais eu égard à la concurrence discographique existante, ce ne me paraît pas un témoignage essentiel.
En somme, c'est magnifique, mais un peu trop "vocal" pour moi, la séduction passant davantage par la matière de la voix que par le mot, à mon sens. [D'où l'intérêt de préciser ses critères, sans quoi on pourrait s'étriper longtemps sur le génie de Wunderlich.]

Dietrich FISCHER-DIESKAU / Jörg DEMUS (DGG, 1965)
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Contre toute attente, cet enregistrement est un peu plus maniéré que la version Eschenbach, même si certains sons sont plus plein. Malgré le magnifique accompagnement de Demus, cette vision de 1965 est finalement plus vocale et moins équilibrée.

Thomas QUASTHOFF - Robert SZIDON (RCA, 1993)
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Avec les raucités et le timbre pas toujours totalement "plein" qui sont propres à Quasthoff, une version avec un très beau timbre et soignée sur le plan verbal. Malheureusement un manque d'allant dans plusieurs lieder, et des transpositions très graves qui altèrent un peu le caractère du cycle, mais l'objet en lui-même reste de toute beauté.

Christopher MALTMAN / Graham JOHNSON (Hyperion, 2000)
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Tiré de l'intégrale Hyperion des lieder de Schumann. L'enregistrement fait forte impression à la première écoute, avec cette voix très virile dont l'ironie peut aller droit au but. Néanmoins, tous les lieder ne sont pas incarnés avec la même force, et certains sont au contraire un peu sages. Etonnant ici aussi de voix combien une voix, qui doit être assez sèche et petite dans la réalité, peut paraître glorieuse au micro (ici encore, on dirait un baryton-basse, alors qu'il s'agit un baryton central de format modeste) - même si le cas est beaucoup plus facile à élucider que pour Loges.

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7. Bonnes versions (plus inégales)


Paul ESSWOOD / Nicholas McGEGAN (Hungaroton, 1988)
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La particularité de cet enregistrement est bien sûr de faire figurer un falsettiste. Mais c'est surtout le seul disque de ce genre, dans le domaine du lied ou de la mélodie, qui me paraisse réussi. Malgré le décalage bizarre de cette voix vis-à-vis de ces poèmes "réalistes" - aux antipodes de l'angélisme votif de la musique sacrée, ou même de l'héroïsme fantasmatique du seria -, l'ensemble est incarné et bien chanté, même si l'instrument d'Esswood est légèrement terni.
Il faut dire qu'on dispose avec lui d'une des voix d'alto les mieux timbrées qu'on ait jamais eues, avec plus de chair que la plupart de ce qui est venu après lui (Deller n'est pas si loin).
En revanche McGegan, sur pianoforte mais davantage habitué des claviers "non-dynamiques" (pas de nuances d'intensité sur les claviers du clavecin ou de l'orgue), martèle un peu son accompagnement, de façon pas toujours gracieuse.
Un bon disque donc, qui reste une curiositgé, mais dont le pari est assez réussi.

Sebastian BLUTH / Anita KELLER (Naxos, 1996)
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Première version Naxos, à une époque où la firme ne disposait pas encore du formidable réservoir d'interprètes qui est le sien - aujourd'hui, Naxos collabore avec des interprètes merveilleusement adaptés à chaque répertoire, et en moyenne supérieurs, à mon sens, aux "majors", qui ont seulement les plus prestigieux.
On peut voir cet enregistrement de deux façons. Ou l'on considère la tenue assez terne, la voix sèche (comme pas tout à fait placée) et le timbre imparfait de Bluth... ou l'on observe sa façon de dire ces poèmes. Et en fin de compte, malgré les limites vocales très claires, le disque fonctionne très bien de mon point de vue, parce que la réalisation en est faite avec esprit.
J'aime beaucoup, mais il faut bien prévenir qu'il faut plus se placer plus du côté "texte" que du côté "musique" pour apprécier ce disque.

François LE ROUX / David SELIG (REM, 1996)
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Ici, vraiment une question de goût : Françoix Le Roux chante ces lieder avec exactement la même émission que pour ses mélodies françaises, et on entend même l'amorce de changement (vers les barytons graves) de sa voix. La langue allemande est aussi sévèrement malmenée, une sorte de malaise se dégage de tout cela.
Malgré tous les maniérismes et les défauts, la qualité du chant et de l'investissement rend tout de même cet album sympathique. Mais si on voulait faire une hiérarchie objective, cela relèverait sans doute plutôt du dernier groupe, tant l'objet paraît hors sujet.

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8. Bonnes versions (dont je partage moins les attentes)


Roman TREKEL / Oliver POHL (Oehms, 2005)
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Comme d'autres chanteurs (un assez grand nombre, en fait !) dans cette discographie, Roman Trekel est fortement prédéterminé par sa voix - ou plus exactement sa technique vocale. En émettant des sons en arrière, assez en gorge, voire cravatés, et très arrondis, il ne peut produire qu'une version assez solennelle et noire du cycle, comme tous les personnages qu'il incarne. Il y réussit comme à son habitude très bien, mais il y demeure clairement une distorsion bizarre entre le caractère évident de ces poèmes et celui de son interprète, qui n'est pas totalement enclin à la grâce naïve ni à l'ironie subtile.

Simon KEENLYSIDE / Malcolm MARTINEAU (Sony, 2009)
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Une version très honnête, mais très lisse et sage. Keenlyside est un formidable chanteur-acteur (Winston Smith dans 1984 est sans doute l'incarnation la plus impressionnante qu'il m'ait été donné de voir...), et un excellent récitaliste (particulièrement dans les mélodies françaises, mais il n'est pas médiocre dans les songs). Cependant, dans certains cas à l'opéra (souvent en italien, comme ses Don Giovanni) et au récital (lied), il peut se montrer d'une sagesse qui confine au scolaire.
C'est le cas ici : tout est très bien chanté, avec une voix dont le grain est un peu gros (les bords "s'effilochent"), mais la souplesse du phrasé et la profondeur de l'expression ne sont vraiment pas évidentes à déceler...

Thomas HAMPSON / Geoffrey PARSONS (EMI, 1993)
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Hampson, au contraire, est un grand chanteur de lied, aussi bien en grand format (ses Mahler avec orchestre, évidemment), que dans les formats intimistes (magnifique Winterreise, très beaux Berlioz / Moore et autres petits Wagner isolés...). Pourtant, ici, le sentiment est sensiblement le même que pour Keenlyside, quelque chose de très impersonnel. Très bien chanté, irréprochable, mais pas vraiment incarné. Je n'adhère pas en tout cas.

Max van EGMOND / Kenneth SLOWIK (Musica omnia, 2006)
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Mon admiration (et mon inclination) pour Max van Egmond, aussi bien ténor (Eumete dans le premier Retour d'Ulysse de Harnoncourt) que basse (le Troisième Esprit dans l'Orfeo historique du même Harnoncourt), grand récitaliste de mélodie (sublimes Fauré) et même de lied (l'un de ses deux Winterreise discographiques est particulièrement abouti dans l'art de dire), pourvu d'une voix ronde, souple, pleine de chaleur et de modestie...
Toutefois, parmi les témoignages tardifs de récitals de lied qu'il a laissés, celui-ci est très peu convaincant : la voix est tellement asséchée qu'il ne peut plus guère chanter, si bien que lorsqu'il quitte la parole pour le lyrisme, la voix s'assèche irrémédiablement. Les intentions sont belles au demeurant, mais le résultat assez frustrant. Mieux vaut le fréquenter sur d'autres cycles.
Avec pianoforte.

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9. Les versions qui restent (auxquelles je n'adhère pas)



Andreas POST / Tatjana DRAVENAU (Genuin, 2002)
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Les lecteurs de CSS me sont témoins que je n'ai absolument rien contre les voix étroites. Mais ici, Andreas Post représente tellement la caricature d'un petit ténor de caractère pincé à l'extrême qu'il est difficile de se concentrer sur autre chose, même si l'interprétation est au demeurant assez vivante.

Nathalie STUTZMANN / Catherine COLLARD (RCA, 1992)
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On ne peut pas dire que ce ne soit pas une lecture soignée, et le piano de Catherine Collard est assurément digne d'éloges, mais... j'éprouve beaucoup de difficulté, dans ces répertoires intimistes, à écouter une voix aussi "fabriquée" et épaisse, j'ai l'impression d'embaucher une Brünnhilde pour chanter du fado. En plus, toute l'expression est tellement emphatique, travaillée, insistante, pesante quelquefois... Je reconnais la maîtrise, mais je n'aime pas, du tout.

Peter PEARS / Benjamin BRITTEN (Decca, 1968)
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Petite forme pour Pears, dont la voix ne sonne pas seulement contrainte, comme toujours (ce corset fait partie de son charme aussi), mais aussi en grande partie déchirée... Il existe un concert sur le vif avec Perahia (qui n'a jamais été édité, ce me semble), plus tardif, qui est au contraire une très belle réussite, mais ce disque-ci est un peu douloureux à écouter.
Attention, le visuel ci-dessus ne contient qu'une poignée de lieder de ce cycle. L'original n'a pas été réédité depuis 1995.

José van DAM / Dalton BALDWIN (Forlane, 1989)
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Si dans la mélodie, van Dam est discutable (grosseur du grain) mais clairement sensible au genre, j'avoue ne le supporter qu'avec peine dans le lied. D'abord à cause de l'accent, assez terrible ; ensuite à cause de la voix, qui n'a pas le mordant ni la fermeté nécessaire, qui ne peut pas s'alléger, dont on entend toutes les aspérités, qui ne semble jamais produire un son complètement "clos". Et même l'expression n'est pas follement subtile.
Comme d'habitude en revanche, il se fait excellemment accompagner, que ce soit Pikulski ou Baldwin.

Zeger VANDERSTEENE / Levende KENDE (René Gailly puis Northern Flowers, 1986)
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Comme pour Post, une voix étroite (moins étroite, mais assez aigre, ce qu'elle n'est pas habituellement...), et en plus une certaine placidité expressive. Je n'y ai vraiment pas trouvé grand intérêt.

Walton GRÖNROOS / Ralf GOTHÓNI (BIS, 1996)
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Comment une version avec Gothóni peut-elle fermer la marche ? Gothóni n'est pas particulièrement éblouissant, par rapport à son potentiel, dans ce cycle, on l'a vu... mais il est reste excellent. C'est tout simplement que j'ai trouvé, et j'ai honte de l'avouer, ce disque assez mal chanté, en tout cas au delà de mon endurance sur des critères de qualité de timbre minimale. Non pas que ce soit affreux, juste sans séduction et assez moche, sans qualités d'expression notables non plus.

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10. Ceux qui font envie

Eu égard à leurs mérites dans ce répertoire ou dans d'autres, je fonde un certain nombre d'espoirs sur Haefliger, Hågegard, Hüsch (tous trois à cause de leurs excellents Schubert !), ainsi que Jerusalem et Kruysen, fortes personnalités que je serais curieux de découvrir ici.

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11. Vue d'ensemble

Pour voir plus clairement ce que donne ce découpage (des conseils, des appétances et non un classement), le voici sous forme schématique :

Loges / Schmalcz
Bauer / Hielscher
Gerhaher / Huber
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Souzay / Cortot
Bär / Parsons
Fassbaender / Reimann
Hynninen / Gothóni
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Holzmair / Cooper
Krause / Gage
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DFD / Moore
Panzéra / Cortot
Bostridge / Drake
DFD / Eschenbach
Finley / Drake
Goerne / Ashkenazy
Bästlein / Laux
Wunderlich / Giesen (DGG)
DFD / Demus (DGG)
Quasthoff / Szidon
Maltman / Johnson
--
Esswood / McGegan
Bluth / Keller
Le Roux / Selig
--
Trekel / Pohl
Keenlyside / Martineau
Hampson / Parsons
Egmond / Slowik
--
Post / Dravenau
Stutzmann / Collard
Pears / Britten
van Dam / Baldwin
Vandersteene / Kende
Grönroos / Gothóni



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Commentaires

1. Le lundi 27 février 2012 à , par Era

Merci pour cet article, David, et bonjour en passant ;)
J'écoute Fassbaender, c'est d'une beauté incroyable. J'ai un bon souvenir de Bostridge/Drake, mais je ne suis pas objectif, j'adore Bostridge, et j'adore Drake...!

2. Le lundi 27 février 2012 à , par DavidLeMarrec

Salut Era !

Merci pour ce passage. :)

Oui, Fassbaender est absolument formidable, et c'est beaucoup plus que beau, c'est remarquablement profond aussi.
Je suis aussi un très grand admirateur de Drake (en concert, ce n'est pas toujours aussi exaltant, mais il tire vraiment le meilleur parti des possibilités du studio !). Pour Bostridge, j'aime toujours partout, mais disons que c'est rarement le plus intéressant (et lui, en concert, la voix est mi-nus-scule - et LULLY m'est témoin que j'aime les petites voix !).

Tu as un avis sur les deux extraits que j'ai présentés ?

3. Le lundi 27 février 2012 à , par Era

Ils sont très beaux tous les deux et je souscris totalement à ce que tu as marqué, en particulier pour la pianiste de Bauer. J'écoute rarement quelqu'un d'autre que DFD pour les versions baryton, mais je sais que j'ai tort, il y a souvent aussi bien. Pour dire celle que je préfère il aurait fallu que je compare sur le même lied.

Je t'avoue que j'ai personnellement un petit faible pour Bonney que tu ne cites pas, le timbre me touche énormément, et puis c'est fin de jeu, délicat, j'ai du mal à m'en détacher pour les Dichterliebe et pour les Frauenliebe und leben. En tout cas c'est ma version soprano préférée et de loin, après pour les mezzos effectivement Fassbaender, Bostridge pour les ténors pour les barytons il faut que je creuse un peu les pistes que tu donnes...:)

4. Le lundi 27 février 2012 à , par DavidLeMarrec

Oui, Hielscher, c'est vraiment l'un des plus beaux accompagnements de ce cycle - finalement très bien écrit pour le piano, si bien qu'on n'y entend pas les interprètes briller comme chez Schubert...

DFD est une valeur sûr de toute façon, du moins si on évite la période d' "ajustement" des années 70 et 80 - tous ses enregistrements avec Barenboim et surtout Brendel ont leurs limites vocales et expressives.

Bonney, je ne l'ai pas écoutée au disque donc je n'en ai pas parlé, mais je l'ai écoutée dans ce cycle en vrai (en fin de carrière), elle le faisait quasiment en parlant, ce qui n'était pas sans charmes pour moi... néanmoins le côté précieux-sans-être-élégant et l'accent américain assez présent, ça ne ravit pas beaucoup.
La texture de ce type de voix, en plus, se prête assez mal à ce genre de musique, sauf à avoir la finesse de Klepper, Ziesak ou bien sûr Schäfer.

Et Frauenliebe au disque, je n'aime pas beaucoup non plus.

En tout cas c'est ma version soprano préférée et de loin, après pour les mezzos effectivement Fassbaender, Bostridge pour les ténors

En même temps, tu en as écouté beaucoup d'autres ? Je ne choisis pas mes écoutes par tessiture, et le résultat est tout de même la présence massive, ici comme dans la plupart des cycles, de barytons (de très clair à très graves). Il n'y a pas énormément de choix au disque, j'ai l'impression, à moins d'aller chercher dans des versions très peu célèbres.

Je m'aperçois aussi que Bostridge est la version pour ténor que j'apprécie le plus, étonnant que ce cycle qui en théorie sied beaucoup mieux à ce type de voix ne soit pas mieux réussi, je veux dire de façon plus expressive... La plupart ont en fait une approche assez lyrique et décorative, pas très incarnée - même Bostridge, ce qui n'est pas forcément un mal le concernant.

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David Le Marrec

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