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[amphi] Wagner - Les Meistersinger dans la traduction d'Alfred Ernst


Premier tableau de l'acte III des Meistersinger dans la traduction d'Alfred Ernst à l'Amphithéâtre de l'Opéra Bastille.

Les lutins de Qaanaaq ne pouvaient évidemment pas manquer cette soirée, trop liée à leurs marottes.


L'affiche présente le décor de la création française en 1897 au Palais Garnier, reconstitué à l'identique pour ces soirées.


Le résultat n'était pas garanti pour autant, et il n'était pas complètement au rendez-vous ; ce qui permet de nourrir la réflexion sur les aspects de ce passé qu'on peut déplorer (articulation / projection) et sur d'autres sympathiques mais pas vraiment objets de regrets (espace scénique) :

=> Les Maîtres Chanteurs restent, quoi qu'il en soit, la comédie la moins drôle de l'histoire de l'opéra. Une heure vingt pour faire chanter un air et donner une promesse de mariage, il n'y a que Wagner qui soit capable de faire ça dans une action scénique. Par conséquent, c'est inévitablement ennuyeux dramatiquement.

=> Le parti pris de la reconstitution était extrêmement sympathique : beauté et richesse des costumes, qui croquent immédiatement les caractères ; jolie atmosphère de la toile peinte (représentant, étrangement, la grande salle des Maîtres) avec son trompe-l'oeil hypertrophié et sa quantité considérable de lieux simultanément figurés (étude, balcon, salle des banquets...), ses tons grisaille.
Malheureusement, les panneaux étaient légèrement inclinés sur le côté, et le centre des gradins en demi-cercle exclusivement réservés aux invités de la production... si bien que les spectateurs ne voyaient le décor, pour plus de la moitié d'entre eux, que très imparfaitement. C'était aussi une reconstitution de ce qu'on pouvait voir au fond d'une loge à l'italienne, je suppose.

=> Les indications de mise en scène ont été scrupuleusement respectées. Aussi, les chanteurs sont le plus souvent de face, même lorsqu'ils s'adressent l'un à l'autre, et complètement immobiles sur leurs pieds : seuls leurs costumes et quelques gestes des bras servent à les caractériser.
Autre corollaire : le public sur les côtés ne les entendait pas très bien.

=> Les techniques vocales étant ce qu'elles sont devenues, les chanteurs n'étaient pas complètement intelligibles et la plus-value de la traduction tombait grandement. Et toujours à cause de la même problématique de la disposition de la salle, on ne pouvait pas restituer ce qu'ils disaient, sauf à être déjà familier avec la traduction d'Alfred Ernst - ce qui limite évidemment l'intérêt de l'expérience pour l'immense majorité de la salle...
Même Didier Henry (Hans Sachs) et Valerio Contaldo (Walther), en principe très bons, étaient décevants du point de vue de l'articulation. André Gass (David) était le seul à profiter du texte français pour augmenter l'expressivité de son incarnation (la plus belle voix du plateau également, d'assez loin).

=> La traduction d'Ernst n'est pas un chef-d'oeuvre absolu en soi ; elle est efficace et sert très bien l'oeuvre pour ce qu'elle est, mais :

  • elle ne transforme pas le poème des Meistersinger en chef-d'oeuvre (elle est même plutôt en deçà), contrairement à ce que fait Victor Wilder dans le Ring, ravivant de façon notable les couleurs de l'original (dans un goût un peu différent) ;
  • l'oeuvre et l'extrait choisis ne sont pas de ceux qui permettent de profiter du gain d'une traduction française, vu la platitude dramatique et verbale qui y règne. Même en conservant la même oeuvre, les actes I ou surtout II auraient été beaucoup plus adéquats, même s'il fallait plus de monde.


=> La réduction pour piano, qui peut fonctionner assez bien pour le Ring, est très frustrante pour les Meistersinger qui réclament cette épaisseur orchestrale - ici l'ensemble sonne souvent malingre.

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En somme, c'était évidemment intéressant, très correctement chanté et joué, stimulant pour la restitution des visuels [1]... mais pas vraiment convaincant. On pouvait s'y attendre, mais toutes les préventions étaient validées à la fois !

Cela prouve, sans doute, que le retour en arrière pour l'usage des traductions françaises n'a pas grand sens tant que les interprètes n'ont pas l'articulation projetée adéquate...

Prolongements :

  • Contexte autour de Wagner en français.
  • Chaîne YouTube des lutins, où l'on trouve un certain nombre de moments inédits des traductions de Victor Wilder (et un Charles Nuitter célèbre). Chacune de ces vidéos renvoie vers une notule correspondante.


Notes

[1] L'entrée de Walther après qu'Elsa a pénétré chez Sachs est très troublante, on a l'impression de voir apparaître Jean de Reszke !


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Commentaires

1. Le dimanche 22 avril 2012 à , par ptilou :: site

Excellent résumé. J'ai bien aimé l'ensemble de cette "couturière" (j'ai appris l'expression à cette occasion). Avec un petit plus pour le jeu de la pianiste qui bien sûr, ne peut pas "envoyer" autant qu'un grand orchestre. Néanmoins, j'ai trouvé sa prestation impressionnante. Je voulais souligner la magie du quintet vocal à la fin de l'extrait de l'acte donné. L'interprétation et la sensibilité des chanteurs m'ont semblé exceptionnel... un moment vraiment magique et un grand frisson émotionnel... Depuis, en empruntant à la médiathèque d'autres interprétations de cet opéra, je ne retrouve pas la force et la délicatesse de ce moment vécu en "live".

2. Le dimanche 22 avril 2012 à , par DavidLeMarrec

Bonsoir !

Tout à fait d'accord sur la pianiste : l' « effectif » était trop réduit pour fonctionner totalement dans l'économie un peu hypertrophiée des Maîtres, mais le travail d'Anne Le Bozec au piano était d'une grande justesse, très sobre, mais pas du tout routinier.

Oui, le quintette a très bien fonctionné, je suis d'accord. Mais la plus-value potentielle de la version française était encore moins mise en valeur à ce moment !

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