Suite à plusieurs réclamations, un mot sur la saison de Radio-France,
et sur ce qu'elle inspire quant à son avenir.
Je reprends en partie le commentaire en réponse
à Berwald
sous la notule consacrée à la Philharmonie, au moins pour la partie
sélection :
[à propos des bruits de couloir sur une saison
essentiellement straussienne]
C'est toujours le cas lorsqu'on a un écho global, les autres ne
regardent pas forcément les mêmes choses, et même les lignes de force
ne sont pas forcément interprétées de la même façon (je suis enchanté
du couplage Sibelius 2 / Tchaïkovski 6, qui est tout sauf une rareté).
Je ne ferai vraisemblablement pas de notule là-dessus : pas grand'chose
de particulier à repérer (et plus d'avant-première), si on lit
simplement la brochure, on voit tout ce qu'il faut. (Et puis j'ai des
notules discographiques et « pédagogiques » en retard.)
[Bien, en fait, maintenant que vous avez amené le sujet, je crois que
je vais en toucher un mot.]
J'ai effectivement repéré sensiblement les mêmes choses que vous :
– la Suite de Salomé de Schmitt
; hélas, comme pour l'Oiseau de feu et la plupart des suites du monde,
il manque une grosse part du plus intéressant dans la Suite…) ;
– les 2 & 5 de Sibelius ;
pas rare, mais j'aime ça, d'autant que je suis un converti plutôt
récent) ;
– les 2 & 4 de Nielsen ;
je désespérais de jamais voir la 2, en plus par Storgårds !
– week-end musique de chambre nordique : piano de Čiurlionis ; orgue de Kalniņš, Ešenvalds, Vasks, etc. ; Quatuors de Stenhammar, Szymanoski, Chostakovitch ;
– le couplage Lemminkainen (complet ?) de Sibelius / Symphonie de Debussy (l'orchestration de Matthews
n'a pas été gravée semble-t-il, je n'ai vu que celle de Tony Finno)
rend bien sûr curieux (même si, intrinsèquement, ce ne sont pas les
plus grandes œuvres de leur auteur, surtout pour Debussy !).
La Cinquième de Sibelius a
décidément une riche fortune ces derniers temps : en à peine plus d'un
an, quatre programmations, pour un compositeur qui était quasiment
absent des programmes il y a quinze ans… On a eu l'Orchestre de Paris
en septembre 2015, le Philhar' en avril 2016, il y aura le Philharmonia
en octobre 2016, et l'ONF en décembre 2016… Ils pourraient nous donner
la version originale une fois, tant qu'à faire.
La Nursery,
ça n'a jamais été publié en version orchestrale, n'est-ce pas ?
J'aime beaucoup le volume de Lise Boucher de la version pour piano. Il me semble, comme les Animaux modèles, que ce n'est
proposé qu'en fragments pour un concert familial.
Monsieur Beaucaire ne me
désintéresse pas, mais c'est beaucoup trop cher pour de la musique
légère (surtout quand on a les Frivolités Parisiennes qui se produisent
pour trois fois rien, avec un autre sens du style et surtout un tout
autre enthousiasme !).
Pour le reste, quand même beaucoup de Brahms et Strauss, j'ai peine à
ne pas remarquer qu'on pourrait supprimer un orchestre sans trop
bouleverser la vie musicale… Certes, on voit bien que le grand
répertoire et le patrimoine français échoient plutôt à l'ONF, tandis
que le Philhar' fait l'opéra, le classique, le contemporain et les
décadents… mais cela souffre tellement d'exceptions, et pour un
répertoire tellement homogène, qu'on ne ferait pas vraiment la
différence s'il n'y avait que 2/3 des dates et un seul orchestre. Du
point de vue du contribuable en tout cas, ça paraît tellement une
évidence ; si encore l'un des deux se déplaçait en province, mais ils
restent résolument sédentaires, au service des parisiens et maintenant
dans la même seule salle de concert !
Je ne le leur souhaite pas, et cela fait davantage d'offre pour nous,
mais il se peut bien qu'un jour, ce manque de lisibilité se paie assez
cher pour eux. Même les logos sont identiques (une belle réflexion à ce
sujet,
là) !
Fragonard, fantaisie abstraite : Fusion des deux orchestres de Radio-France
La
Cour des Comptes, très
informée et lucide, dans un style direct et dépourvu de vindicte, livrait,
il y a un an, un constat particulièrement éclairé :
¶
Lieu unique :
– « Contrairement à la BBC dont trois des cinq orchestres résident en
province, les formations de Radio France sont implantées à Paris. »
– « La réouverture de l’auditorium en
novembre 2014, salle unique
pour les deux orchestres, donne une
acuité nouvelle à ce
problème de définition de leurs rôles. »
– « Dorénavant, leur présence conjointe à la Maison de la Radio
va
rendre patente la trop grande
proximité de leurs programmations.
»
¶
Indifférenciation des
rôles :
– « La direction de la musique n’est pas apparue en mesure de piloter
les programmations des formations
musicales. Comme elle l’a indiqué
elle-même,
ce sont
les formations musicales qui construisent
leur saison. Les choix
sont ensuite soumis à la validation du directeur de la musique. »
– « La grande proximité des répertoires
entre les deux orchestres est corroborée par
l’examen des contrats de travail de leurs chefs. Le contrat de
M. Myung-whun Chung, chef d’orchestre
de l’Orchestre philharmonique de Radio
France, prévoit la programmation du grand
répertoire symphonique, d’opéras, d’oratorios
et du répertoire contemporain, quand celui
de M. Daniele Gatti, chef
d’orchestre de l’Orchestre national de France, retient la
valorisation du grand répertoire symphonique et la reprise ou la
création d’œuvres contemporaines. »
– « Tous les efforts de coordination
renforcée se heurtent à des oppositions, comme
en témoigne l’impossibilité, en septembre 2014, de créer une direction
artistique commune aux deux ensembles, dont la seule annonce
a conduit au dépôt d’un préavis
de grève à l’Orchestre philharmonique de Radio
France. »
– « la redéfinition de la spécificité
des deux formations, option peu convaincante au
regard des échecs passés de cette spécialisation »
¶
Vers la fusion :
– Ce n'est pas, contrairement à ce que la presse a pu résumer, la seule
solution envisagée (mais la seule indiquée dans les
abstracts…), seulement la plus
efficace selon la Cour. Défendue d'ailleurs de façon très progressive,
par un rassemblement des effectifs, qui dégonfleraient peu à peu.
Évidemment, cela ne prend pas en compte la spécificité artistique et
sonore de ces deux orchestres, qui ont bel et bien leurs identités
propres de ce point de vue (le lyrisme élancé des cordes du Philhar'
n'a rien de commun avec le grain très dense de celles du National…),
mais le rapport défend assez bien son point de vue.
– « Dans un premier temps, le
nouvel orchestre comprendrait un nombre important de musiciens
garantissant la plus large programmation grâce à
des déploiements à géométrie variable
qui sont déjà ceux de l’Orchestre philharmonique. Cela éviterait
ainsi de recourir à des remplacements externes,
qui représentent une part importante des
cachets. Dans un second temps, l’effet mécanique des départs à la
retraite lui permettrait de retrouver une taille normale. »
– Il s'agit aussi de limiter le sous-emploi des musiciens, le paiement
d'heures supplémentaires et l'embauche ponctuelle mais récurrente de
musiciens externes : « Outre la question de la coordination, cette
solution permettrait de
résoudre progressivement le sous-emploi
chronique des musiciens de Radio
France. Au titre de l’article 48
de l’annexe 11 de la convention
collective, les musiciens travaillent 1 110 heures par an, horaire
négocié en fonction des particularités du
métier. Or, en moyenne annuelle, les
musiciens de l’Orchestre national de France ont travaillé 703 heures
entre 2010 et 2013 et ceux de
l’Orchestre philharmonique 739 heures entre
2009 et 2013. Durant cette période,
seuls quatre musiciens ont travaillé plus de
950 heures par an. Quatorze musiciens ont travaillé moins de 500
heures. Cette situation n’empêche pas
le recours à des remplacements externes (1,4 M€
en 2013) et le paiement d’heures supplémentaires. »
De fait, lorsqu'on observe cette programmation homogène, dans un seul
lieu, il est difficile de ne pas se poser la question – même si je
doute que cela arrive avant un futur assez lointain, considérant
l'effroi contractuel des responsables face à tout conflit.
Mais qu'un orchestre soit dédié aux tournées en province (il y a assez
à faire à Paris, on peut bien partager !), ou à l'exploration du
patrimoine français, tandis que l'autre servirait de formation de
prestige qui jouerait les grands titres pour les besoins de la radio,
ce ne serait pas absurde.
On pourrait aussi envisager que les extraits sonores diffusés sur
France Musique (même si personne n'écoute la chaîne) soient enregistrés
par les orchestres, puisqu'ils ont de toute façon un salaire fixe.
Teniers le Jeune,
peinture d'histoire : L'Auditorium
de Radio-France un soir d'affluence
Shugborough Hall (collection particulière).
À cela s'ajoute la question du déficit (abyssal, les chiffres figurent
dans
le rapport complet, la billetterie ne couvre
rien), et donc notamment du remplissage. Au risque de répéter ce qui a
déjà été dit : même si l'accueil est devenu plus adéquat depuis que
l'entrée se fait à l'opposé de la salle (possiilité d'être à l'abri,
lieu d'attente avec sièges, agents de sécurité très courtois, ce qui
n'était pas le cas auparavant), le sentiment demeure le même, le public
a l'impression d'être
toléré,
comme s'il était invité dans une émission de radio. Parce qu'il n'y a
pas de lieu dédié, parce qu'on surveille sans cesse que les spectateurs
ne prennent pas le mauvais couloir, parce ce qu'on replace de force les
spectateurs du second balcon, quitte à leur donner de moins bonnes
places (un premier rang de face se transformant en dernier rang de
profil)…
Tout cela – à part le dernier point, que je trouve particulièrement
déplaisant, on achète les places sur plan et je ne suis pas sûr que ce
soit contractuellement très défendable, aucune autre salle de spectacle
ne force les gens à quitter leur emplacement… – n'est pas très
important, mais cela contribue sans doute, pour un public habitué à
être accueilli dans des lieux conçus pour lui, à ne être très enclin à
se déplacer spontanément vers la Maison de la Radio. Ce n'est pas très
festif, disons.
Par ailleurs, sans vouloir verser dans de la sous-sociologie (ce qui
est, paraît-il, encore pire que la sociologie), le public potentiel des
mélomanes des XVe et XVIe arrondissements, ou de la
Petite-Couronne-Occidentale, qui devrait se laisser séduire par la
proximité, au contraire de la Philharmonie, est peut-être justement le
plus sensible à cette question du décorum, ce qu'une salle un peu
froidement fonctionnelle (les éclairages sont un peu durs) et un
environnement pas totalement au service du spectateur ne servent pas
idéalement.
À part ça, la salle a une très chouette acoustique dans les endroits où
le son n'est pas étouffé par les angles supérieurs, on y est proche et
on y voit bien de partout. Et il y aura Nielsen, Schmitt et Kalniņš la
saison prochaine.