Friedrich HÖLDERLIN - Heimkunft I - Episode 4 - Brève conclusion
Par DavidLeMarrec, dimanche 25 mars 2007 à :: Littérature :: #566 :: rss
Episodes précédents :
- Introduction
- 1. Le sujet et la versification
- 2. La densité de l'expression
- 3.
La phrase de Hölderlin
Ce texte d'un aspect peu commun nous a été l'heureux prétexte – freudiges dichtend si l'on ose dire – d'approcher certaines des spécificités de l'écriture de Hölderlin, qui le placent assez clairement hors de son temps, en adoptant les sujets et certaines préoccupations philosophiques de la poésie de son temps, mais en en refusant les stéréotypes métriques, lexicaux, syntaxiques et symboliques.
Même, si, au besoin, le poète ne répugne pas à réutiliser les préoccupations les plus philosophiques des poètes contemporains, par exemple le sujet – très grec – de la place de l'homme : Was ist der Menschen Leben et Da ich ein Knabe war l’évoquent sur le mode des deux maximes delphiques, tel que Goethe avait pu le faire dans Grenzen der Menschheit [14]. La tournure même Da ich ein Knabe war, son sujet, ne peuvent qu’évoquer précisément le monologue final de l’ébauche du Prométhée goethéen : « Da ich ein Kind war » [15]. Et de même, le regard se tourne vers un père soleil supposé bienveillant – trait également à l’œuvre, dans une moindre mesure, chez le Mayrhofer d’Heliopolis [16]. Cependant, le ton en est souvent distinct, assombri, l’humanité plus lointaine, témoin d’un temps antique et révolu ; ainsi la lecture de Ganymed, infiniment plus contingente, et dont l’élan ne possède pas la vitalité printanière du modèle goethéen [17].
La difficulté d'accès de Hölderlin n’est sans doute pas étrangère à sa très rare mise en musique pour le lied, et très tardivement - ni Schubert, ni Schumann, ni bien sûr Mendelssohn et Brahms, ni même Wolf : presque personne, ou alors extrêmement marginalement, avant des cycles du vingtième siècle. On trouve alors les Hölderlin-Fragmente de Wolfgang Rihm, miniatures totalement disjointes avec de nombreux effets d'errance, de tremblements, quelques relents fugitifs de tonalité appaisée, parallèle à cette poésie d'avant la Tour qui ne peut revenir mais dont on sent poindre ici ou là les saveurs dans les poèmes de la folie. Et bien sûr le fameux Scardanelli-Zyklus [18], peut-être l'oeuvre la plus célèbre de Heinz Holliger compositeur.
Mais on notera que c'est le processus de folie qui fascine alors les compositeurs du second vingtième. Holliger y retrouve les renversements de personnalité des personnages traditionnels de Blanche-Neige dans la Schneewittchen de Walser qui sert de fondement à son livret. Rihm y exploite à nouveau ce qui avait constitué toute la dramaturgie de Jakob Lenz (d'après le drame de Büchner), la marche vers la folie – à ceci près que les Hölderlin-Fragmente mènent plus vers l'aphasie que vers l'écholalie.
En somme, les poèmes de la maturité, sans doute à cause de leur ampleur, de leur musicalité propre, de leur dimension philosophique, de la sinuosité intimidante de leur sens pour qui voudrait le magnifier en musique ; peut-être aussi parce qu'ils semblaient trop déséquilibrés du côté de l'apollinien, trop écartés de toute préoccupation immanente ; ces poèmes ont semblé lointains ou écrasants aux compositeurs qui ne s'en sont pas emparés. Ce qui ne manque pas de surprendre, alors même que dans certaines anthologies de la poésie allemande (par exemple le volume sous la direction de Jean-Pierre Lefebvre chez Gallimard), Hölderlin occupe la part la plus flatteuse (dans ce cas précis, plus de deux fois le volume consacré à Goethe).
Cette distorsion entre la reconnaissance littéraire et l'appropriation spontanée de son oeuvre est un signe éloquent, s'il était nécessaire, d'une certaine étrangeté à son temps de Hölderlin, qui n'est reçu, même par les littéraires [19], que tardivement par rapport à ses contemporains – après sa mort, soit une quarantaine d'années après le début de l'atrophie insensée de son art dans la Tour [20].
[14] Grenzen der Menschheit (Goethe) : Le poème a été mis en musique par Schubert, entièrement tassé dans le grave. La version originale n'est pas, contrairement à sa coutume, en ténor, mais plutôt pour basse ou contralto (principalement du si1/2 au si2/3).
[15] Prometheus (Goethe) : Tempêtueuse mise en musique par Schubert, comme un long, versatile et très sophistiqué récitatif accompagné d'opéra. Assez régulièrement au programme des liedersänger barytons – du moins au disque –, dont il exalte les aptitudes dramatiques et déclamatoires.
Da ich ein Knabe war, de Hölderlin, a cependant été lui aussi mis en mis en musique, dans les Six Hölderlin-Fragmente de Benjamin Britten (n°4 : Die Jugend). Encore une fois, il faut attendre une date très récente (1963, ici) et une esthétique affichée de la miniature (malgré la relative longueur du poème en question) pour que Hölderlin soit apprivoisé par les musiciens.
[16] Mayrohfer : Poète plus mineur, souvent mis en musique par le jeune Schubert. Heliopolis I et II développent la question du rapport à l'humanité (où est-elle ?) et de l'épanouissement artistique (ravissement ou orage ?).
[17] Ganymed : Poème fameux de Goethe, comme ses congénères célèbres mis en musique de nombreuses fois. Schubert en est le plus célèbre, avec son mélange de contemplation champêtre et de frénésie ascendante.
Celui de Hölderlin, auquel il est fait allusion, n'a pas été mis en musique.
[18] Scardanelli est un pseudonyme qui signe certains des poèmes de la Tour.
[19] Et on l’a vu, pour les compositeurs, ce sera le second vingtième.
[20] Etrangeté au temps que l'on considère généralement comme un signe de la modernité, mais on entrerait dans un autre débat.
Un extrait de la partition des Hölderlin-Fragmente de Wolgang Rihm. Actuellement désactivée pour des raisons techniques (la numérisation de la partition étant retenue en d'autres lieux).

Commentaires
1. Le lundi 17 octobre 2022 à , par Jojo
2. Le lundi 17 octobre 2022 à , par DavidLeMarrec
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