Robert SCHUMANN, Liederkreis Op.24 (Heine) ; Johannes BRAHMS, Vier ernste Gesänge - (et autres lieder) - Matthias GOERNE, Christoph ESCHENBACH - à Pleyel, 16 mars 2007
Par DavidLeMarrec, lundi 26 mars 2007 à :: Disques et représentations - Poésie, lied & lieder :: #569 :: rss
Présentation de Matthias Goerne et discussion ici.
Nouveau compte-rendu de Sylvie Eusèbe (en terrain miné) :
« Paris, Salle Pleyel, vendredi 16 mars 2007, 20h00.
Matthias Goerne : baryton ; Christoph Eschenbach : piano
Robert SCHUMANN :
Abends am Stand (Le soir au bord de la mer) op. 45 n°3
Es leuchtet meine Liebe (Mon amour brille) op. 127 n°3
Mein Wagen rollet langsam (Mon coche roule avec lenteur) op. 142 n°4
Liederkreis op. 24
Johannes BRAHMS :
Lieder und Gesänge op. 32
Vier ernste Gesänge op. 121
« C’est avec un grand plaisir que je prends ce soir le chemin de la Salle Pleyel. Cela fait plusieurs années que je n’y suis pas retournée, et je suis heureuse de retrouver cette salle de concert dans laquelle j’ai de grands souvenirs. J’y revois Benedetti Michelangeli, Arrau ou Brendel, Giulini ou Celibidache, ou bien encore Fischer-Dieskau lors de ses adieux parisiens.
La Salle Pleyel vient de rouvrir en cette saison 2006-2007 après plusieurs années de travaux qui n’ont pourtant rien modifié de visible tant que l’on ne rentre pas dans la salle elle-même. Elle sent encore le neuf, un mélange de colle et de peinture. Le changement le plus important est que l’on est passé de l’ancienne couleur bleu pour les sièges et les murs à un rouge sombre pour les premiers et à un blanc sans âme pour les seconds. On remarque également des rangées de sièges nouvellement placées derrière la scène, ce qui me semble une première dans une salle de concert en France. Mais où sont donc cette ambiance apaisante et cette atmosphère feutrée qui donnaient son caractère particulier à cette salle, qui la distinguaient des autres ? Heureusement que le parquet en bois sombre et le bois blond des sièges et de la scène donnent un peu de chaleur ; sans eux, ces murs blancs, l’enchevêtrement de rails et de spots noirs au plafond, la sècheresse des formes des nouveaux balcons, tout cela serait bien brutal.
Il est 20h06, et sous les applaudissements d’un orchestre rempli de spectateurs, voici trois hommes qui investissent la scène par la gauche. Je mets quelques secondes à reconnaître Matthias Goerne : je ne l’ai jamais vu, ni donc entendu en vrai, et je m’aperçois que les photos des livrets de ses CD datent de quelques années ! D’autant plus grand et carré que son pianiste de ce soir est plutôt petit, le baryton salue le public avec un léger sourire, l’air étonné et le front dégagé. Tout de noir vêtu, Christoph Eschenbach chausse ses lunettes, le jeune homme assis à sa gauche se tient prêt pour tourner les pages de ses partitions. Matthias Goerne, en simple costume noir sur une chemise blanche sans cravate, se balance d’un pied sur l’autre, regarde en l’air, puise sa force dans une concentration qu’il semble atteindre sans effort visible.
Dès les premières notes du chanteur, je suis agréablement étonnée par la puissance et la chaleur de son timbre. Je l’ai très peu écouté et ne suis guère capable de reconnaître sa voix. Je ne suis d’ailleurs pas certaine que cela puisse se faire un jour.
Son chant est direct, franc, naturel. J’aime sa façon de s’adresser au public en nous regardant tranquillement : il nous rend ainsi concerné par ce qu’il nous raconte, il nous fait participer à son histoire. Cependant, lors des passages lents, son regard s’élève, et les yeux ronds, le visage lunaire, il semble chanter en rêvant, loin du lieu où il se trouve. Mais lorsque la musique s’anime, il bouge davantage, danse de droite à gauche dans le creux du piano, s’accroche à celui-ci, frôle de sa tête le couvercle de l’instrument, et on voit très nettement grâce à la poussée de ses jambes l’énergie qu’il tire du sol, puis qui monte dans son corps pour s’extérioriser dans les notes les plus aigues de sa tessiture.
C’est à mon avis dans les Lieder lents et piano que la voix pleine et chaleureuse de Matthias Goerne est la plus à l’aise. Ses beaux graves peuvent alors s’étirer tendrement et nous envelopper avec une grande douceur. Les exemples les plus frappant me semblent être de Brahms le magnifique « Du sprichst, dass ich mich täuschte » (Tu dis que je me trompe), chanté comme une longue et touchante plainte, ou encore « Wie bist du, meine Königin » (Quels délices tu répands, ô ma reine), très inspiré avec ce « wonnevoll » (délicieusement) doucement obstiné, dit merveilleusement lentement ! Je tiens encore à citer ce vers du second chant sérieux : « Und der noch nicht ist, ist besser ais alle beide », extrêmement pianissimo, très ralenti, Matthias Goerne atteint ici une rare puissance évocatrice, et le silence magistral qui règne dans la salle indique qu’il vient de nous toucher profondément. Son chant frappe par son élégance simple, par sa légèreté et l’air qui y circule avec fluidité.
Je trouve que les Lieder plus animés, dans lesquels la voix est soumise à de rapides variations de hauteur ou de puissance, conviennent moins bien au baryton (comme par exemple dans le premier des quatre chants sérieux de Brahms). Forte et piano alternent sans donner beaucoup de contraste ou d’animation à ces Lieder, je suppose que le timbre égale de Matthias Goerne sur toute son étendue est pour beaucoup dans cette impression. Cette uniformité est très perceptible dans « Lie’Liebchen, leg’s Händschen » (Ma mie, mets ta main) de Schumann : cela est chanté un peu légèrement à mon goût, pas assez appuyé, et l’ensemble séduit plus par sa beauté qu’il ne marque par son dramatisme.
Pour moi qui suis « habituée » à un chant plus « contrasté », je n’entends pas ici d’intonations « spéciales » pour souligner telle ou telle voyelle, renforcer tel ou tel trait musical saisissant ou particulièrement important pour la compréhension du texte. Aucun « i » ne me tire par l’oreille, pas même celui de « bitter » dans « O Tod, wie bitter bist du », et le baryton réaliste juste un léger vibrato sur le « ie » du dernier vers du second chant sérieux « Das under der Sonne geschieht », sans y mettre le moindre relief. Sa prononciation très peu articulée m’étonne énormément, les consonnes en fin de vers ne sont absolument pas audibles. Cette « diction » qui est pourtant tout à fait « normale » me gêne au point que je suis souvent perdue pour suivre les textes des Lieder et leurs traductions proposées par le programme.
Mon impression, on l’aura senti, est un peu mitigée. Je reconnais la beauté du chant de Matthias Goerne, j’apprécie la sincérité de son investissement et sa touchante expressivité. Cependant, je regrette son « classicisme », ce côté trop peu créatif, j’éprouve de la difficulté à me rendre nettement compte de son apport dans ces Lieder.
L’impression donnée par le public en revanche n’est pas du tout mitigée : c’est un succès ! Une belle ovation salue donc le chanteur qui donne une accolade émue à son pianiste très effacé. Il l’entraîne par la main pour sortir de la scène, et juste avant qu’il n’entre en coulisse, une fan lui tend une écharpe blanche… Devant les manifestations du public qui ne faiblissent pas, les musiciens nous donnent généreusement deux bis. Ils ne sont hélas pas annoncés, et dans ma grande ignorance je ne saurais dire s’il s’agissait de Schumann ou de Brahms… Je pencherais pour Brahms, un Lied un peu vif, puis un second, plus lent, plus aéré, rempli de silences émouvants… C’est décidément ce que Matthias Goerne réussit le mieux !
S. Eusèbe, 25 mars 2007 »
Commentaires
1. Le lundi 26 mars 2007 à , par DavidLeMarrec
2. Le mardi 27 mars 2007 à , par Sylvie Eusèbe
3. Le mercredi 28 mars 2007 à , par Sylvie Eusèbe
4. Le mercredi 28 mars 2007 à , par DavidLeMarrec
5. Le mercredi 28 mars 2007 à , par Philippe[s]
6. Le mercredi 28 mars 2007 à , par DavidLeMarrec
7. Le jeudi 29 mars 2007 à , par Philippe[s]
8. Le jeudi 29 mars 2007 à , par Sylvie Eusèbe
9. Le jeudi 29 mars 2007 à , par DavidLeMarrec
10. Le jeudi 29 mars 2007 à , par DavidLeMarrec
11. Le jeudi 29 mars 2007 à , par Philippe[s]
12. Le vendredi 30 mars 2007 à , par DavidLeMarrec
13. Le vendredi 30 mars 2007 à , par Philippe[s]
14. Le samedi 31 mars 2007 à , par DavidLeMarrec
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