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A la découverte de la mélodie française - parcours discographique commenté - VI - Esprit français - Henri DUPARC (présentation)

} Esprit français (suite)

Henri DUPARC

(1848-1933)

Description :

La musique d'Henri Duparc, du fait de son abandon précoce de l'exercice de la composition, se limite quasiment à ses mélodies. Quelques pièces pour piano, quelques pages orchestrales, dont certaines sauvées de la destruction peu avant son achèvement de son opéra La Roussalka (d'après la pièce de Pouchkine qui, comble de l'ironie, est elle aussi inachevée), guère plus. En tout état de cause, au disque comme au concert, on peut considérer Duparc comme le compositeur de dix-sept mélodies, pas plus.

Suite à une maladie nerveuse concomitante avec une crise mystique (qui le mène à détruire ses dernières oeuvres), le reste de son existence a été consacré à l'enseignement (mentor du jeune Jean Cras, notamment, avec lequel il échangea une abondante correspondance), à la vie de famille, au dessin, à la peinture. Il orchestre cependant plusieurs mélodies dans les années 1910.

Pourquoi ces éléments biographiques ? C'est qu'il faut bien avoir conscience de ce que son oeuvre, qui paraîtrait, vu ses dates, rester peu influencée par Debussy et qui pourrait sembler d'un raffinement tout à la fois conservateur et décadent, se révèle en réalité d'une dimension novatrice considérable, car composée très tôt dans son parcours.


Henri Duparc. Le look Borgstrøm faisait alors fureur, semble-t-il.

Une oeuvre assez sombre, dont les recherches harmoniques parent un climat de rêve inquiet - si ce n'est de cauchemar. Ce n'est pas tout à fait par hasard que la vitrine de son oeuvre est constituée par ses deux mises en musique de Baudelaire.

Vu l'ampleur très réduite du corpus, on peut se risquer à une petite introduction. On pourrait classer ces oeuvres (dont l'évolution de l'audace n'est pas du tout évidente) selon une gradation qui s'étendrait du rêve calmement mélancolique à l'hallucination la plus épouvantable.

Seule exception, la Sérénade (1869) sur un texte Gabriel Marc, une mélodie suave et séductrice comme du Saint-Saëns. La toute dernière mélodie, Recueillement, a été détruite et ne peut donc être classée...

On peut donc diviser le corpus en quatre groupes. Nous en commentons quelques-unes, particulièrement célèbres ou remarquables.

=> 1. Le mode élégiaque. Une mélancolie douce, triste ou non.

  • 1868 - Chanson triste (Henri Cazalis) - orchestration en 1912
  • 1869 - Romance de Mignon (Victor Wilder d'après l'extrait fameux de Wilhelm Meister de Goethe : « Kennst du das Land »)
  • 1869 - Soupir (Sully Prudhomme) - révisé en 1902
  • 1869-1870, Au pays où se fait la guerre (Théophile Gautier, extrait de La comédie de la mort) - orchestré en 1876 ; révisé en 1911-1913
    • Dans cette romance très opératique, on saisit de façon saisissante le talent dramaturgique de Duparc. Une scène tout à la fois suspendue et palpitante, un grand moment d'opéra.
  • 1880-1881, Sérénade florentine (Henri Cazalis sous le pseudonyme de Jean Lahor)


=> 2. L'hallucination, voluptueuse ou inquiète. Souvent les deux simultanément.

  • 1870 (environ) - L’invitation au voyage (Charles Baudelaire) - orchestration en 1892-1895
    • La mélodie la plus célèbre de Duparc est due à cette adaptation de Baudelaire. La pièce incontournable pour toute section française de récital, et quel que soit le type de voix - à un point irritant. Si l'oeuvre en elle-même contient une mélodie assez propre à imprégner longuement l'auditeur, et plusieurs beautés harmoniques (notamment sur le refrain), elle ne comporte cependant pas la variété descriptive des climats du texte-source, ni sa simplicité un peu affable. La célébrité du poème original et la puissance mélodique de la musique choisie par Duparc auront plus fait pour sa popularité que la réussite réelle de l'exercice, qu'on peut juger relative ici.
  • 1871 - La fuite, duo mixte (Théophile Gautier)
    • Ici encore, une veine extrêmement proche du théâtre, mais avec une plus-value remarquable, ce chant fait de cahots au piano, qui surgit d'un flot irrégulier, et ces basses troublées (à appoggiatures). Le texte, de surcroît, est admirable, réussissant à tout à la fois la dimension stylisée de la comptine d'une fuite avec des personnages-type inversés (la jeune fille courageuse et confiante, mentant presque au jeune amant terrorisé) et la vraisemblance psychologique de personnages complexes utilisables dans un plus vaste drame. Sans doute la plus belle réalisation de Duparc, qui alterne ici l'expression erratique d'une réflexion précipitée sur une fuite qui a déjà débuté et les reflets irisés du rêve promis au terme de celle-ci.
  • 1874 - Extase, (Henri Cazalis sous le pseudonyme de Jean Lahor) - révision en 1884
    • L'une des oeuvres les plus régulièrement exécutées de Duparc, qui fascine par ses modulations troublantes, lourdes de parfums lascifs.
  • 1876-1884 - La vie antérieure (Chales Baudelaire) - orchestration en 1911-1913
    • Très souvent donnée en fin de série, cette mélodie se présente plutôt comme un parcours initiatique qui se révèle dans le dernier tercet du sonnet. Ici aussi, le texte de Baudelaire n'est pas forcément respecté dans son esprit - son exaltation apollinienne [1] n'est pas à proprement parler sensible chez Duparc.
  • 1882 - Phidylé (Leconte de Lisle) - orchestration en 1891-1892
    • Aux confins de la volupté et de l'étrangeté, ici.


=> 3. La déploration.

  • 1874 - Élégie (Thomas Moore traduit par E. MacSwiney) - révision en 1902
  • 1883 - Testament (Armand Silvestre) - orchestration en 1900-1901
  • 1883 - Lamento (Théophile Gautier)
    • Caractérisé par sa figure chromatique descendante lanscinante.


=> 4. Le cauchermar.

  • 1869 - Le Galop (Sully Prudhomme)
    • Très figuratif et véhément, on y entend déjà une figure chromatique descendante qui sera employée pour conclure La fuite.
  • 1871 - La vague et la cloche (François Coppée) - avec orchestre, puis arrangement pour piano de Vincent d'Indy lors de la première édition, puis arrangement pour piano de Duparc, puis orchestration en 1913
    • Poème d'hallucination terrifiante, d'une grande ampleur. Assez figuratif lui aussi.
  • 1879 - Le manoir de Rosemonde (Robert de Bonnières) - orchestration en 1912
    • Une brève ballade, qu'on a souvent rapprochée du Roi des Aulnes : une chevauchée sans issue. Des rythmes retors, des apostrophes hâtives, une attitude très déclamatoire, une fin plus méditative.


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Les pistes discographiques arrivent dans la prochaine livraison.

Notes

[1] Oui, poncif en vue.


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David Le Marrec

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