Henry Février - La Damnation de Blanchefleur (première mondiale) - I
Par DavidLeMarrec, mercredi 5 janvier 2011 à :: Opéras français d'après le romantisme - Lutin Chamber Orchestra :: #1645 :: rss
Il est temps de nous attacher aujourd'hui à une autre figure considérable de l'opéra français au début du XXe siècle, et dont il n'existe strictement aucun témoignage discographique. Et dont on proposera, pour la première fois, des extraits sonores.
Ce sera de plus à travers l'un de ses ouvrages peu célèbres, La Damnation de Blanchefleur.
En trois notules :
- I - Présentation de l'auteur et de l'oeuvre
- II - Evocation orientale depuis le septentrion
- III - Batailles, amours, structure et bilan
1. Henry Février (1875-1957)
Fils de l'architecte Jules Février (en particulier célèbre pour ses ouvrages dans la plaine Monceau) et père du pianiste Jacques Février (créateur du Concerto pour la main gauche de Ravel et du Concerto pour deux pianos de Poulenc), Henry Février appartient au courant des compositeurs français qui ont pleinement transposé les acquis du wagnérisme (motifs, mouvances harmoniques, orchestration...) dans un langage spécifiquement français.
Alors qu'il a étudié avec Raoul Pugno, Xavier Leroux, Jules Massenet, André Messager, c'est surtout la parenté avec son maître Gabriel Fauré qui est la plus frappante. Les sombres harmonies postwagnériennes s'y mêlent d'une forme de grâce, de galbe très français, aussi bien dans la phrase musicale que dans la déclamation syllabique.
Bien qu'ayant pratiqué dans d'autres genres, ce sont surtout ses drames lyriques qui lui valent sa (désormais très relative) renommée. Dans ce cadre, c'est Monna Vanna (1909) sur le texte de Maeterlinck qui est resté le plus célèbre, immortalisé par Vanni-Marcoux dans un récital discographique, et par une vieille bande prise à Besançon en 1958, avec Suzanne Sarroca. Ce n'est cependant pas, et d'assez loin, ce qu'il a produit de plus intéressant.
- Le Roi aveugle (1906, Hugues Le Roux), opéra en deux actes créé à l'Opéra-Comique.
- Monna Vanna (1909, Maurice Maeterlinck), opéra en trois actes créé à l'Opéra de Paris et immédiatement repris à la Monnaie.
- Carmosine (1912, Caen et Payen d'après Musset), opéra en quatre actes créé à la Gaîté Lyrique.
- Gismonda (1918, Payen d'après Sardou), opéra en quatre actes créé à Chicago (!).
- La Damnation de Blanchefleur (1921, Léna), opéra en deux actes créé à l'Opéra de Monte-Carlo.
- L'Ile désenchantée (1925, Schuré), opéra en deux actes créé à l'Opéra de Paris.
- Oletta (1927, Choudens), créé au Grand-Théâtre de Bordeaux.
- La Femme nue (1932, Payen d'après Bataille), opéra en quatre actes créé à l'Opéra-Comique.
- Sylvette (1932), écrit en collaboration avec Delmas et créé au Trianon Lyrique.
De tout cela, bien que son nom demeure plus ou moins dans la mémoire collective, on ne dispose de rien du tout, à l'exception de quelques extraits de récitals (Journet, Vanni-Marcoux...) et de la bande privée de Monna Vanna.
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2. La Damnation de Blanchefleur (1920)
Mon attention a été bien plus retenue par La Damnation de Blanchefleur.
Tout d'abord, curieux de voir s'il existait quelque rapport avec Une larme du diable de Théophile Gautier, une oeuvre irrésistible à laquelle je reviens souvent - or, l'inconséquente Blancheflor n'est pas du tout damnée à la fin de l'ouvrage.
Non, cette Blanchefleur-ci n'appartient pas à la même matière, et se trouve mêlée à une intrigue plus incarnée - elle est de toute façon déjà mariée lorsque le rideau se lève.
Le livret de Maurice Léna est très loin de la niaiserie de son Jongleur de Notre-Dame pour Massenet, et ménage au contraire de belles images et des personnages bien plus touchants, sans médiévaleries inutiles.
Surtout, la musique de Février, tout en restant sur un ton très français, mélodique, agréable et pas novateur, se montre d'une très belle richesse musicale. Dès l'entrée, en y trouve de très beaux effets, avec ces quartes ascendantes qui miment la brume du Nord de la France, avec ces accords diaphanes en quintes augmentées (le "son" des walkyries...) auxquels font écho les sonneries hors scène... Une musique raffinée, qui peut se comparer au Fauré de Pénélope, au Ravel de Shéhérazade, au Ropartz lyrique (Odelettes, Poèmes de l'Intermezzo de Heine, Le Pays...), à des poèmes symphoniques aussi (Viviane de Chausson, La Chasse du Roi Arthur de Ropartz), mais sans jamais accuser de façon trop évidente la filiation wagnérienne et la filiation debussyste - Février en retire les enseignements, mais pas le style, qui reste plus fauréen (mais proche du Fauré le plus audacieux, à défaut d'en reproduire les audaces).
Et dramatiquement, quelque chose naît de très singulier. Dès le début de Blanchefleur, une atmosphère, une vraie. Elle se sent très fort même au piano, et c'est pourquoi nous allons la partager ensemble.
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3. Ecoute commentée
(A suivre.)
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