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De Hamlet à Hamlet, III

La relation à Ophélie.


a) Hamlet

Chez Shakespeare, l'on apprend assez tardivement que Hamlet a dû écrire quelques galanteries à Ophélie, mais leur désignation comme amants tient surtout aux élucubrations de Polonius qui, triomphant, imagine que le fils d'un roi fait la cour à sa fille, et relaie cette conviction durant toute la tragédie, en l'associant à chaque situation, même celles qui mettent sa thèse le plus en difficulté. Cette représentation de la folie de Hamlet liée à l'amour devient un système de pensée unique par lequel le chambellan lit la grille du monde.
Dans les faits, la position de Hamlet est évidemment moins limpide. Toujours dans le texte-source, le prince, sous l'influence d'un spectre dont on ne constate jamais ni la réalité, ni la sincérité, sacrifie délibérément Ophélie en l'outrageant, afin de rendre plus complète sa métamorphose. La terrible goujatterie de ses propos grivois sur ses badinages d'antan rend le statut de l'amour chez Hamlet beaucoup plus ambigu et cruel. Sa piété filiale, ou son égarement devant un univers de valeurs effondré, et dont la vaine rémanence s'incarne dans le spectre, le mène à fouler aux pieds tout ce qu'il avait pu bâtir auparavant, tous ses projets médités de sage jeune homme.

Chez Thomas, à l'inverse, la relation du personnage de Hamlet – fût-il psychologiquement complexe – avec les affects amoureux est, dans un sens, nettement plus normée. Nous avons là un couple d'amoureux sincères, clairement déclarés depuis l'exposition (quel gouffre sépare le badinage presque grivois de lettres révélées seulement au moment de la rupture, chez Shakespeare, et le duo Doute de la lumière, doute du soleil et du jour, doute des cieux et de la terre, mais ne doute jamais de mon amour - ! ), et à la constance très romantiquement affichée.
La rupture sera suscitée non par une stratégie semi-névrotique, mais par un point d'honneur, étant impossible de s'allier à la famille qui a assassiné le père. Le critère tient plus d'une morale acquise que d'un choix accepté, dans la mesure où le personnage se désespère plus d'avoir entendu la chose que de la réalité elle-même – qui ne change en effet pas grand-chose à la mort du père, effective et voulue par l'oncle.
Conséquence directe, la scène de répudiation n'est plus dans ce flou d'amertume et de cruauté, mais clairement classé dans la catégorie drame romantique, avec des apparences d'engrenages propres à la tragédie – qu'on pense au renoncement de Luisa Miller (d'après Schiller).

Chez Thomas, on développe ainsi la part d'amour de Hamlet – beaucoup plus indéfissable et grinçant dans l'original. Il est ici converti en véritable héros romantique, gouverné par ses affects, fasciné et entouré par la mort, voué à une quête sur laquelle aucune transaction n'est possible et aucune rémission ne sera accordée (qu'on pense au schéma d'Hernani), emporté dans des engrenages tragiques tout aussi autonomes qu'irréversibles. Pas de cynisme badin qui se fléchisse au gré des autres événements, mais un couple d'affects amour-répudiation typique de la période, du genre, et de leurs codes littéraires.
Au contraire, chez William le hocheur de poire, on pourrait presque faire fonctionner le régime de la psychanalyse pour questionner le problème du prince avec la femme : report fantasmatique de la mort du père sur la mère, et refus de l'engagement par la condamnation de la femme au cloître (et par conséquent à la stérilité). Bref, il a un problème avec sa Môman.

b) Ophélie

Chez Thomas, Ophélie gagne une certaine épaisseur, au moins dramatique, puisque, dans le drame élisabethain, elle était plutôt un prétexte à l'exposition des pulsions névrotiques du prince et à leurs effets funestes. Ici au contraire, Ophélie est un personnage plus autonome, moins un faire-valoir, et l'écriture virtuose est prévue pour mettre en valeur la chanteuse, ce qui n'est pas négligeable quant à l'impact du personnage sur le public. Toutefois, la psychologie demeure rudimentaire et la psyché fallote, et il n'est pas sûr que le gain soit grand, puisque le personnage perd en mystère et en indétermination ce qu'il ne gagne pas en épaisseur.

David - fluet


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1. Le mercredi 14 septembre 2005 à , de Carnets sur sol

De Hamlet à Hamlet IV

4. Changements par rapport à la source a) Ce qui demeure Notons en premier lieu quelques conservations notables, à savoir le miroir et la scène de l'illustre avec commentaire pictural, ce qui nous vaut une grande confrontation dramatique

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